d'Istamboul à la frontière sino-kirghize,

4 mois de voyage en Asie centrale

entre avril et juillet 2006

7200 km de vélo en 72 journées de vélo

et 30 jours de flânerie autant touristique que pédestre et/ou de formalités administratives

 

cette page contient

un diaporama de 151 photos illustrant la partie kirghize de ce voyage:

du 25 juin au 21 juillet 2006, 1816 km en 17 jours de vélo

et 10 jours de visites et déplacements motorisés


et les courriels envoyés au long du voyage


puis la description de mon vélo de voyage et de mon matériel de camping

 


 

Courriels envoyés au fur et à mesure de la traversée du Kirghizistan (avec les bilans du voyage à la fin)

 


Jeudi 1er juillet 2006

 

Nouvelles de Bishkek (anciennement Frounzé, capitale du Kirghizistan)

 

Si l'accueil des Turcs était chaleureux et jovial, celui des Iraniens très civilisé et presque cérémoniel (et pas cérémonieux, SVP), celui des Turkmènes mou et indolent, celui des Ouzbeks d'abord réservé puis bon enfant et rigolard, j'apprends à connaître une nouvelle variante de l'hospitalité: celle des Kirghizes.

 

Quelques kilomètres après le passage de la frontière ouzbéko-kirghize, on s'arrête pour demander un renseignement et le commerçant d'en face assis devant sa porte nous invite chez lui. Sa fille de 17 ans nous confirme que la nuitée est gracieusement offerte. On s'installe donc à la nuit tombée en tailleur et sans chaussures sur la takhta (nom ouzbek de l'estrade que l'on rencontre dans tous les restos et sur laquelle on pose une tablette de 30 centimètres de haut qui sert de table le jour). La discussion en anglais est un peu laborieuse par manque de vocabulaire mais le thé puis les somsas (friands à la viande) et le pain nous rassasient un minimum. Vers 23 heures, après l'inventaire de quelques coutumes kirghizes et l'échange de quelques cadeaux (carte postale de la tour Eiffel et échantillon de parfum contre bracelet), on transforme la salle à manger en dortoir en enlevant la table et en rajoutant des épaisseurs pour les dos endoloris. La famille se regroupant dans d'autres pièces de la grande maison avec cour intérieure protégée par une treille (c'est forcément de la vigne en français ou faut-il que je le rajoute ?).

 

Le lundi 26 juin 2006, on se lève à 6 heures en même temps que tout le monde et on mange du pain avec notre thé. Après la désormais traditionnelle séance de photo de famille on se sépare en laissant 200 soms (4 Euros) à la jeune fille qui n'avait su quoi répondre en anglais à notre offre de rétribution de la nourriture mais les à tout de suite fièrement donnés à son père, l'épicier qui nous souhaite alors bonne route très chaleureusement (un repas à plat unique vaut ici 50 soms, un petit-déjeuner 20 et une nuitée de 50 à 300 suivant le niveau de confort). Nous traversons alors toute la ville (en passant devant la gigantesque statue de Lénine) pour aller attendre à la banque AKB l'arrivée des picaillons et nous changeons nos chèques de voyage. Puis c'est la recherche d'un café-internet pour vous envoyer des nouvelles et lire vos gentils messages (qu'est-ce qu'il ne faut pas écrire pour en recevoir d'autres. Au passage merci à Michel S. de Bull, Léon et Yves Nicolet anciens de Bull).

 

Patricia qui garde les vélos sur le trottoir se fait embaucher par un guide-professeur d'anglais autodidacte en français pour lui faire la conversation dans notre belle langue. Et je fais alors la découverte de l'effroyable difficulté d'icelle: les liaisons. Chyngyz (ça doit être son prénom, d'après sa carte) me dit qu'il a d'énormes problèmes avec elles et qu'il cherche les mots "nenlevant" et "zancien" dans sa tête et dans son dictionnaire quand je lui dis "en enlevant" ou "les anciens". La suite de la conversation me montrera qu'il y a plusieurs liaisons dans chaque phrase que je lui adresse et il bute à chaque fois. Je lui redonnerai une leçon quand je repasserai à Osh vers le 18 et lui apporterai un CD de chansons françaises (107 pour quelques Euros plus 800 kilomètres alors qu'il en gagne 50 par mois et ne paie déjà plus son gaz). Christian et Patricia qui ont très mal pris la fermeture de la frontière à Uchkurgon refusent de terminer en bus les 300 kilomètres de détour qu'elle nous a infligé bien qu'ils se disent en retard par rapport à leur planning (la mousson au Pakistan est-elle prévisible à 3 jours près ?). Ils veulent partir immédiatement après le repas au restaurant et je me rends avec Chyngyz à la gare des taxis pour Bishkek afin qu'il me tuyaute (et discute en français) pour rentrer avec mon vélo quand je repasserai par ici après mon tour du Kirghizistan. Une fois de plus j'apprends bien des choses. La première offre est à 20 Euros pour les 800 kilomètres mais un chauffeur de Mercedes à galerie de toit m'en demande seulement 16 s'il trouve 3 autres clients (sans vélo eux et qui payeraient 4 Euros chacun). Je décide donc de rattraper mon retard sur les Charrière et de faire les 230 premiers kilomètres vers Bishkek en bus pour arriver à peu près en face d'Uchkurgon, là où on aurait dû traverser, rétablissant ainsi presque la continuité de l'itinéraire. C'est d'ailleurs le même prix pour le tiers du chemin que pour le total car les bus se remplissent au départ et ne trouvent jamais personne à embarquer en route. De 15 à 17 heures 30, pendant que je cause politique, religion et moeurs kirghizes avec Chyngyz, mon chauffeur de Mercedes interpellera (vainement) les clients éventuels qui naviguent entre des dizaines de chauffeurs de taxis qui font de la sous-enchère. Finalement il me revendra, moi et mon chargement à un bus à 12 places qui a lui aussi du mal à se remplir et vers 19 heures 30 nous prenons la route de Bishkek. Ca tient alors beaucoup plus de la diligence décrite par Maupassant dans une nouvelle et dont John Ford tirera l'inoubliable chef d'oeuvre «la chevauchée fantastique» (stagecoach in English). Dans cet espace confiné en pleine canicule les gens apprennent à se connaître, à se comprendre et à cohabiter. Je suis installé entre les 2 chauffeurs et j'ai pu apprécié pendant 8 heures 30 les problèmes qu'ils rencontrent: trous dans la route, voiture ou camion qui double en face, enfants joueurs du bord de route, vieillards invalides qui peinent à traverser, cyclistes un peu sourds, vaches indolentes. Je comprends mieux maintenant l'usage continuel (et pénible pour nous cyclistes non protégés du son par une carrosserie) du klaxon. Sur la moitié du parcours la route est en travaux et seul le revêtement de terre est à jour: le camion doit quasiment s'arrêter tout les kilomètres pour remonter sur le goudron et relancer son allure. Après la rencontre d'un troupeau de vaches qui occupe toute la largeur de la route, le vacher de 12 ans assis sur son âne nous fait des gestes significatifs d'une roue voilée à l'avant-droit. Le chauffeur regarde son adjoint, arrête son véhicule et ils descendent tout les deux constater les dégâts et il faut avoir vu leur immense éclat de rire en direction du gamin quand ils comprennent que celui-ci leur a fait la blague habituelle pour les faire stopper: toute la bonne humeur du monde est passée par là à ce moment. A la nuit tombante mous mangeons au restaurant: des laghmans pour tous avec du thé à profusion pour 50 soms (1 Euro donc). De nouveau en route, le chauffeur, un brin autoritaire mais consciencieux et attentif à satisfaire ses passagers, discute mécanique et plaisante avec son adjoint par dessus ma tête jusqu'à ce que celui-ci pourtant dynamique et actif s'écroule de sommeil. C'est alors à moi de chercher briquet et paquet de cigarettes pour le compte du chauffeur. La route remonte la rivière Naryn et je ne vois rien des barrages qui l'équipe; je n'avais qu'à faire cette portion en vélo, na ! Vers 3 heures du matin on me dépose comme prévu près de la centrale de Kara-Köl devant le café du coin bondé à cette heure pourtant tardive (c'est jeudi soir) ou matinale comme vous voudrez. Gentiment on m'accompagne en voiture à un kilomètre à l'hôtel touriste, reliquat de l'ère industrielle et communiste du chapitre historique précédent et l'on réveille la concierge qui me demande 380 soms (7 Euros et quelques) pour quelques heures de sommeil et une douche. J'ai besoin de me reposer avant de repartir et j'accepte volontiers.


Vers 9 heures je repars dans ce décor de gorges magnifiques et monte lentement un premier col avant de descendre contourner sur la moitié de sa longueur (50 kilomètres peut-être ?) le lac de Toktogul. Au passage un bon repas en plein air sur du mobilier de jardin en plastique comme chez nous: un restaurant du bord de route est généralement composé d'une ou deux tables (ou takhtas ou les deux) avec une dame qui fait de l'excellente cuisine mais quand il n'y en a plus il n'y en a plus évidemment donc le choix peut être restreint à deux heures de l'après-midi quand il n'y a rien eu pendant trente kilomètres par exemple. A l'entrée de la ville du même nom, vers 18 heures 30 et après 116 kilomètres, un panneau hôtel (ici c'est habituellement gastinitsa en russe et les enseignes ne sont jamais en anglais ?) me fait faire demi-tour. Effectivement pour 100 soms (2 Euros) j'ai une chambre avec 2 lits, une armoire et une table basse ou on me sert le thé (au jasmin ou à la bergamote, ma mémoire gustative me fait maintenant autant défaut que l'autre mais je suis sûr qu'il était parfaitement parfumé) puis les repas, un lavabo en plein air rechargeable au seau de 20 litres, une douche en plein air également chauffée directement par les rayons du soleil et les chiottes au fond du jardin comme tout le monde. Je suis à la fois dans la famille et j'ai une intimité préservée: le rêve du touriste dans mon genre. Pour la collation d'accueil, je me régale de pain encore chaud avec des abricots au sirop, d'abricots frais du jardin et de thé. Puis, au dîner j'ai droit à deux oeufs sur le plat avec toujours le même bon pain. Au petit déjeuner même menu que la collation. Le tout pour 60 soms (1,2 Euros). Au passage j'aurais étudié le livre de vocabulaire des gamines et relevé quelques mots bien utiles et soigneusement écouté leur prononciation. J'aurais également assisté dans le petit magasin (eau gazeuse surtout et très fortement minéralisée, jus de fruits entièrement chimique et donc sans fruit, vodka, petits gâteaux, pain, sel, sucre voire chocolat et c'est presque tout comme dans tous ces petits estancots du bord de la route) à une (presque) bagarre entre un jeune déjà passablement chargé et un vieux qui attaque sa (probablement ses) vodka(s) de fin de journée. Les dames (Hé oui, toujours les mêmes qui calment les ardeurs des z'hommes) s'y mettront à plusieurs pour les voir - enfin - se serrer la main. La vie, quoi !


Le mercredi 28 juin 2006, je passe le plus clair de ma journée, de 7 heures 30 à 15 heures 30, sur une route presque déserte (un véhicule toutes les 5 minutes peut-être) à monter le col Ala-Bel à 3175 mètres d'altitude. Avec de beaux panneaux: 10%, 12%, 2 kilomètres à 7%, 1, 3 kilomètres à 6, 7,2% et enfin pour finir plus de 6 kilomètres à 8%. Je prends tout mon temps (je n'en ai d'ailleurs pas d'autre !) et ma fréquence cardiaque reste très basse. Par contre, avec la charge ça tire un peu du côté des lombaires et quand les camions qui montent à 10 à l'heure (à peu près deux fois plus vite que moi) mettent de longues secondes à me dépasser, je vacille un peu pour répondre au salut du chauffeur adjoint, celui qui est de mon côté, l'autre je ne le vois pas, il est trop haut. Toujours la même convivialité sans chichis entre maniaque de la route ? Depuis le début de la montée j'ai quitté le paysage de gorges genre vallée de la Romanche pour parcourir des estives (alpages chez nous) ou les kirghizes passent l'été en compagnie de leur vaches et de leurs juments. Autour de chaque yourte, une tente pour stocker les provisions et le matériel, un mât (totémique ? Je le saurai avant de repartir), les jeunes qui dressent les chevaux en les montant parfois jusque sur la route, les troupeaux qui broutent, s'ébrouent ou se battent alentour et une petite table avec des bouteilles de kymys, le lait de jument fermenté: j'en ai acheté un litre ce jour-là et je l'ai bu car je n'avais qu'un litre d'eau gazeuse pour la journée (le torrent aurait pu suppléer un manque de liquide: il coulait vraiment très fort et l'aérateur biologique devait tourner à plein): j'ai presque tout bû mais c'est vraiment très aigre et je ne sais pas si je recommencerais à en acheter un litre mais à en boire un verre, sûrement. En passant j'ai pu acheter un pain à une famille (bien tassé le pain) et j'ai fini mon pot de confiture du petit-déjeuner express. Je redescends, après m'être bien rhabillé (je suis monté en maillot cyclo à manches courtes car il faisait autour de 10-15 degrés), sur la vallée de Suusamyr aux alentours des 2000 mètres d'altitude, à fond les manettes pendant une vingtaine de kilomètres jusqu'à un premier hameau, mentionné sur ma carte où j'achète des abricots et où il n'y a pas de possibilités de logement apparemment, du moins. Puis je pousse le grand braquet sur un trentaine d'autres kilomètres en faux-plat descendant. J'essaie une première fois de me restaurer dans une yourte - il y en a tout les 500 mètres avec un panneau indiquant ce qu'elles offrent à boire et manger. J'ai du mal à me faire montrer à quoi correspond l'inscription ou à quel mot correspond ce qu'on me propose: les nomades travaillent surtout pour les touristes kirghizes qui viennent se ressourcer en altitude et savant parfaitement commander leur plat. Ils ne voient que très rarement des étrangers, surtout cette année où il y en a beaucoup moins à cause de la révolution de Bishkek, l'année dernière, m'expliquera-t-on, ici dans la capitale où je séjourne actuellement. Je finis assis par terre dans une yourte en grignotant de la viande de vache (me précise-t-on; il y a beaucoup moins de moutons maintenant) directement sur l'os avec des crêpes grasses. Enfin une agglomération de 4 maisons en dur perdues parmi des yourtes et des tentes. Je demande pour un hôtel et on me répond par l'affirmative: pour 50 soms j'ai droit à ma chambre de 3 mètres sur 3 avec la takhta où je bois mon thé d'accueil (thé vert simple celui-là mais avec du lait et du pain avec du beurre salé rance; tiens, tiens, les steppes kirghizes auraient-elles des points communs avec les steppes mongoles et tibétaines; forcément Jules-Armand ! Un havre après 143 kilomètres dont beaucoup, il est vrai, en descente. Après les essais de dressage de mon vélo (débarrassé de sa charge, la direction est très, comment dire ? fuyante) par les deux (jeunes) hommes de la maison on me sert une géniale chorba, à la fois soupe de légumes (pommes de terre, carottes) et pot-au-feu (énorme morceau de viande grasse avec os génialement mitonné). Simple mais efficace surtout avec du bon pain pour l'apport en sucres lents. On me signale que je ne dormirai pas seul mais avec deux autres personnes. Les femmes se mettent à la préparation du hachis (voir les photos malheureusement un peu floues - car j'aurais dû mettre le flash) pour les somsas du lendemain et les hommes ont les reins cassés par leur comblement des fondations d'une maison par de la grosse caillasse. Finalement, après les transformations du local en dortoir, je partagerai ma nuit avec l'un des deux jeunes couples (celui de la grassouillette qui parle un peu français et pas celui de la mince qui parle bien l'anglais et est très fière de son jeune fils de 2 ans). Au matin on me demandera 50 soms (1 Euro) pour la collation et la chorba et 10 (20 centimes) pour le petit déjeuner (thé et pain). Bien pratique et vraiment pas cher. Le bon compromis entre le commerce de complément à la vie nomade de l'éleveur et les besoins des touristes me semble avoir été trouvé. En tout cas c'est excellent pour moi. Je réveille finalement tout le monde en me levant à 7 heures 30 et démarre mon trajet vers 8 heures 30.


Cette journée du jeudi 29 Juin me voit d'abord laisser à droite la route qui reste sur le plateau et conduit à Naryn et tourner à gauche pour monter au tunnel de Tor Ashou, à 2564 mètres. Une dizaine de kilomètres à fort pourcentage pour cette matinée et j'interroge le personnel à l'entrée du tunnel pour savoir si je peux passer par le col géographique à 3586 mètres. La route est là, en terre et très pentue et, d'après ces messieurs de la DDE locale, il n'y aurait pas de neige, seulement un bovin sauvage (d'après leur mimiques) dont je conteste l'existence, le prenant pour le yéti du coin. Je tente 200 mètres sur le vélo puis autant à pied mais c'est très dur et il doit y avoir une dizaine de kilomètres comme ça et autant à redescendre de l'autre côté (ce qui peut être tout aussi physique). Je me dis que ma carte bancaire valide jusqu'au lendemain 30 juin à minuit et mon âge avancé (60 ans le 8 juillet, ne vous bousculez pas pour me souhaiter mon anniversaire, je n'ai pas que ça à foutre de charger mon courrier par une liaison lente sur internet) sont deux excellents arguments pour passer par le tunnel de 3 kilomètres en légère descente. Je m'habille convenablement (pantalon imperméable et parfait coupe-vent et chemise plus veste en goretex en haut) et, à 12 heures 30 je débouche de l'autre côté. Après un nouvel essai de mon vélo par un autre employé, je reste baba devant la dégringolade qui m'attend: à vue de nez et sans carte suffisamment précise ça tombe de mille mètres environ avant de suivre le cours plus normal d'une rivière. Après quelques averses de pluie fine et de petits casse-croûtes (pain et biscuits secs) je débouche vers 14 heures 30 dans la vallée de Bishkek et je m'arrête dans un superbe restaurant, un vrai avec un personnel qui se compte sur les doigts de plus d'une main: salade (tomate, concombre, aneth et crème fraiche) et des langhmans (pommes de terre et petits légumes plus des grosses pâtes chinoises dans un bon bouillon de viande), le tout arrosé de thé (66 soms soit un peu plus d'un Euro). Le pied ! Ne me restent alors que 70 kilomètres à 700 mètres d'altitude sur une route plate assez fréquentée avec au bout l'espoir d'une bonne douche dans la capitale du pays et d'un ou deux jours de repos. Je baisse la tête et avance en me disant que plus tôt je serai arrivé, plus tôt je serai couché. En achetant de l'eau de temps en temps je parviens à Bishkek vers 18 heures 30 après 143 kilomètres. Je cherche l'école de commerce qui loue des chambres aux routards dans cette assez jolie ville moderne et traditionnelle à la fois et devant celle-ci une femme (blonde donc russe comme la moitié de la ville, contrairement aux kirghizes rencontrées jusqu'à maintenant qui sont très brunes) de mon âge me propose un appartement à deux pas pour moi tout seul et pour 8 Euros par nuitée. Elle m'aidera à monter mon vélo (encore chargé) au cinquième étage et me laissera tester un appartement de la classe moyenne inférieure avec salon (canapé et deux fauteuils), télé, baignoire, toilettes à siège (le premier depuis bien longtemps avec celui de l'hôtel Tourist de Toktogul), cuisine parfaitement équipée au gaz; ne manque que la machine à laver.

 

Depuis 2 jours ici, j'ai acheté un billet d'avion pour mon retour à la maison: 627 dollars (500 Euros) payés avec ma carte bancaire pour arriver à Genève le 21 juillet vers midi si mes calculs sont bons (départ d'Istamboul à 10 heures 30 locales), après une escale à Istamboul puisque le premier avionneur de classe européenne est ici la Turkish Airlines, fait ma lessive (à la main (mais avec de l'eau chaude ce qui a loin d'avoir été le cas jusqu'ici - doù des restes d'odeur assez tenaces), visité un peu la ville (et ses très beaux parcs magnifiquement arborés), croisé les gens d'ici (des jeunes femmes très modernes et archi-sexy: plus tard je tenterai de longs commentaires sur les codes vestimentaires rencontrés en cours de route; il me semble qu'il y aurait des bouquins à écrire sur ce sujet au lieu des pseudos lieux communs répétés partout jusque dans les pourtant bons guides de voyage) et rencontré la soeur de ma logeuse (prof d'anglais, agente matrimoniale sur internet et en panne de mari, qui est venue voir à quoi ressemble un français qui fait Istamboul-Bishkek en vélo) et regarde le match de foot de la coupe du monde Allemagne-Argentine (ce soir, c'est-à-dire à partir d'une heure du matin ce sera France-Brésil). Faut que j'aille me préparer moralement à tout ça en allant déjeuner et je vous quitte sur cette perspective avant mon départ dimanche matin pour un tour du Kirghizistan d'une quinzaine de jours avec retour ici en bus pour prendre l'avion.

Pierre-André

 

Lundi 17 juillet 2006

Nouvelles d'Och...


Après le match de foot France-Brésil entre 1 et 3 heures du matin, je quitte l'appartement de la dame russe non sans mal puisque la clé reste obstinément dans la serrure et qu'il faut bien discuter pour ne pas avoir à payer la réparation de la serrure manifestement cassée: 3 nuits à 10 dollars, sachant que le nettoyage des draps va lui en coûter 0,2 à tout casser, ça couvre largement et les taxes (qu'elle ne paye sûrement pas) et l'entretien normal d'une serrure de sécurité qui finit un jour ou l'autre par se gripper ... Je me lance sur la plaine monotone et frôle la base soviétique nouvellement installée vers Tokmok pour faire pièce à celle des Etatsuniens à Manas, à côté de l'aéroport civil où je dois prendre l'avion du retour, à 30 kilomètres au nord-ouest de Bishkek. Il fait chaud mais ça avance après 3 jours de repos. Au soir, après 110 kilomètres à 800 mètres d'altitude et sous une chaleur un peu fatigante, je suis à Kemin où le chauffeur de taxi interpellé me dit qu'il n' y a pas d'hôtel dans cette bourgade. Il trouve alors la solution qui arrange tout le monde: pour 80 soms (1,6 Euros) il m'emmène à 13 kilomètres dans un hôtel et je laisse mon vélo (qui ne trouve pas place dans sa voiture) au café où je prends mon repas du soir. Je suis servi comme un prince dans une pièce à part et particulièrement soigné avant d'aller me doucher et dormir pour 120 soms à Orlovka...


A 8 heures le lendemain 3 juillet, je reprends la conversation en allemand avec mon chauffeur revenu me chercher, ce qui le distrait et il se fait doubler en pleine ligne droite. Il n'hésite pas et alors, pied au plancher, finit par redoubler son rival juste avant le virage avec une bonne grosse voiture qui nous croise; quand je vous dis qu'à trois  de front ça passe largement sur ces routes aux bords mal définis ... Je retrouve enfin la montagne dans le défilé d'une vingtaine de kilomètres qui monte au lac Issyk Kul. Encore une autre vingtaine de kilomètres parmi les rochers rouges et j'aperçois ledit étang de 170 kilomètres de long, à 1600 mètres d'altitude en même temps que je pénètre dans Balikchy la ville sur la pointe est du lac. On m'indique comme hôtel un machin pour touristes fortunés à 50 dollars la nuit puis le portier m'envoie dans la gastinitsa voisine à 150 soms (3 Euros) la chambrette avec téléviseur. Il faut de tout pour faire un monde ... Après un moment sur la plage à observer les moeurs des Kirghizes au bain je me trouve un petit resto bien sympa: mais pourquoi n'y a-t-il pratiquement toujours aucun client dans tout ces petits et moyens restaurants. On m'a dit qu'il y avait beaucoup moins de monde cette année à cause de la 'révolution' de Bishkek (querelle entre 2 cliques proches du pouvoir pour certains avec une dizaine de morts à la clé) l'année dernière. Va savoir ? Je vais ensuite faire quelques kilomètres le long du lac sans mes bagages: il n'y a pas grand chose à voir puisque je suis à la même altitude que le lac et je me demande ce que peut bien donner le tour complet de près de 400 kilomètres ?


Le 4 juillet je monte tranquillement jusqu'à Kochkor berceau des Community Base Tourism (CBT), l'organisation à base communautaire du tourisme, typique du Kirghizistan. Je commence par rencontrer au restaurant un stagiaire rochelais qui passe 3 mois ici pour guider les Kirghizes vers un tourisme écologique et responsable: nous sommes ici au coeur d'un parc protégé sur le plan écologique et je n'ai pas payé à l'arrivée à Balikchy même si le planton voulait m'assimiler à un "motorcyclorist"; il a bien fallu qu'il admette que mon vélo n'avait pas de moteur (tout le monde ne peut pas tout comprendre tout de suite). Avec des prix affichés (250 à 300 soms, soit 5 à 6 Euros, le bed and breakfast (lit et petit-déjeuner), 90 soms les repas de midi et du soir) et des logements dans les familles, en yourte en montagne ou en immeuble dans les petites villes il y a là une forme de tourisme original qui permet d'approcher de très près la vie des habitants, ce qui intéresse certains et fournit des treks et autres randonnées à cheval tout compris pour ceux qui en veulent. En espérant que cette forme de découverte survivra aux tendances plus commerciales qui ne garderont que le dessus du panier de la clientèle et les journées toutes mâchouillées d'avance: pour l'instant ce sont surtout des routards assez fauchés qui parcourent ce pays et ça a l'air de fonctionner... D'autant plus qu'ils ont un vrai bureau ouvert toute la journée avec cartes au 25000ème collées au mur. De quoi répertorier quelques cols que j'ai (ou vais) franchis (franchir) et dont les noms et altitude ne figurent pas sur ma carte. Notamment le col de Kalmak Ashuu qui passe à 3600 métres et permet de redescendre sur le lac Song Köl dont le guide dit le plus grand bien. Je refais mes calculs d'étapes possibles et constate que j'ai largement le temps de me détourner de mon tour du Kirghizistan et d'y aller un jour pour en revenir le lendemain mais sans mes sacoches qui resteraient à Kochkor chez mon hôtesse qui transforme en été la moitié de sa maison en chambres de 2 ou 3 lits fermées seulement par des rideaux avec salle à manger dans le living-room. Jérôme, tu as dû rater un épisode ou alors j'ai oublié de l'expliquer mais ça fait un moment que j'ai décidé de m'arrêter au bout de quatre mois au lieu de six en fonction des visas que j'avais déjà au moment où l'évidence s'imposait: je ne pouvais pas aller en Chine et au Pakistan avec des gens avec qui je ne partage plus grand chose. D'où, pour épuiser mon visa kirghize, l'idée du tour du pays en solitaire en partie sur le chemin que nous devions faire ensemble avec Christian et Patricia, en partie en dehors de l'itinéraire prévu.


Le 5 juillet, je monte tranquillement les 38 kilomètres jusqu'à la bourgade de Sary Bulak (2300 mètres), quelques roulottes genre wagons de chemin de fer désaffectées où l'on sert les boissons (kymys,eaux gazeuse fortement minéralisées et produits industriels sucrés) et en-cas habituels (biscuits, pain et quelques barres chocolatées ou non). Trois kilomètres plus loin je mange mon morceau de pain avec le miel (liquide et en bouteille de 25 centilitres, c'est bien pratique, ça madame!) acheté la veille à un couple de jeunes russes (en dehors des villes où il en reste encore une partie de ceux qui étaient là avant les changements des années 90, ils sont surtout reconvertis dans l'apiculture apparemment). Après un petit col d'un kilomètre sur le chemin de terre je remonte une vallée de 23 kilomètres avec quelques fermes isolées de loin en loin: je reprends ainsi mon activité de cyclomuletier (pratiquant le vélo sur routes et chemins de terre battue en montagne). Ma récompense est au bout de la piste: de très beaux lacets à 10 ou 12% sur plus de 10 kilomètres dans des prairies dignes de nos alpages. Les montagnes d'ici sont d'ailleurs classées dans la même catégorie "alpine" vu leur âge sans doute. Même si c'est un peu limité d'être couché sur le guidon pour passer certains ressauts assez sévères, ça fait plaisir de constater que le souffle ne s'accélère pas trop et que les muscles (en particulier le cardiaque) n'explosent pas malgré le grand âge des artères et du reste. Vers 15 heures 30 je bascule en vue du lac: 3100 mètres d'altitude et une vingtaine de kilomètres de diamètre pour un beau rond bleu-vert à 20 kilomètres du col et bien visible dans toute la descente. Je me laisse d'ailleurs surprendre par sa longueur et ne sais plus trop où sont les yourtes du CBT: je le demande régulièrement aux femmes affairées autour des leurs - de yourtes - et, finalement l'une d'elles demande à son gamin de 13 ans monté sur un cheval parfaitement adulte, lui, de me guider sur le bon chemin parmi ceux qui parcourent la prairie. Après passage d'un gué il me fait signe que c'est tout droit: il reste encore 5 ou 6 kilomètres de prés et j'y suis: à 300 mètres du bord de l'eau une dizaine de yourtes avec les troupeaux de chevaux, de vaches, de moutons et de chèvres et ... un chameau; il n'est là que pour la promenade à 70 soms de l'heure mais il a le mérite d'y être quand même. Après une première collation de bienvenue (thé, pain et confiture) nous mangeons le vrai repas assis dans la yourte dans la position traditionnelle du tailleur asiatique servi par une charmante hôtesse d'une trentaine d'année qui a transformé sa yourte en popote pour la famille étatsunienne de la troisième yourte (papa, maman, les 2 filles de 20 ans et l'ainé qui parle russe, venus tout droit du Wyoming). Le choc des cultures est fantastique surtout vers 20 heures 30 à l'heure du coucher du soleil avec l'orage qui arrive lentement de l'autre rive du lac, juste en face. Je serai même invité par le jeune américain (du centre-nord) à faire un peu de cheval puisque nos hôtes ont sellé 4 chevaux. Le gentil canasson qui a l'honneur de recevoir mes fesses sur son dos veut bien faire les 200 premiers mètres puis s'arrête et je n'arrive pas à le relancer malgré mon bout de cravache. Je descends prudemment et le ramène, un peu penaud, par le licol à son poteau de départ. Ce ne fut qu'un essai... Je rencontre également une famille française de randonneurs pédestre, les parents accompagnant la grande fille dont c'est le troisième séjour au Kirghizistan et qui a fait ses études de socio(logie) ... à Grenoble, bien sûr. Dans la nuit 2 (ou trois) kirghizes viendront partager ma yourte mais je ne les verrai pratiquement pas puisqu'ils se lèveront bien après moi. En tout cas, sur des shyrdaks (tapis-couvertures avec partie épaisse en feutre et magnifique garniture brodée par dessus) en guise de matelas et sous d'autres shyrdaks en guise  de couverture on dort magnifiquement bien.


Le 6 juillet, je m'achète mon litre de kymys et après les effusions d'adieu avec photos je laisse notre hôtesse et sa famille à son estivage et remonte au col sous une petite bruine. Le responsable du CBT de Kochkor qui est monté ce matin-là accompagner des touristes est bien épaté de me voir là en train de m'équiper sous la première petite pluie fine. J'essuierai (c'est le cas de le dire) 2 autres averses, des vraies cette fois-ci dans la descente mais c'est toujours un aussi beau spectacle de voir cette masse noire s'accumuler au dessus de vous puis se voir remplacer par un soleil éclatant une demi-heure plus tard réparant les dégâts de l'averse intermédiaire. Juste avant d'arriver à la grand'route goudronnée je croise l'avant-garde d'un groupe de 9 vététistes: il y a là des Suisses, des Allemands et des Danoises, dont une qui paraît au moins 5 ans de plus que moi, voire 10. De quoi rafraîchir un peu mon allemand du collège. Au passage à Sary Bulak je teste le poisson séché et grillé: grassement délicieux et on mange tout avec les doigts sauf la grosse arête. Après 100 kilomètres je suis à 16 heures dans ma famille d'adoption (provisoire) à Kochkor devant ma salade (concombre-tomate à l'aneth) avant un(e) gavan (riz aux petits légumes).


Le 7 juillet, je démarre à 7 heures 45 pour faire pour la troisième fois les 38 kilomètres jusqu'à Sary Bulak où je retrouve ma poissonnière de la veille mais, cette fois pour des laghmans (grosses pâtes plates dans un bouillon de poivrons et d'aubergines avec persil et boeuf bouilli). A l'heure de la pleine chaleur, entre 12 et 14, je grimpe le col du Dolon sur un bon goudron, encouragé par les quelques automobilistes qui passent (je suis de nouveau sur la grande route qui va vers la Chine au col de Torugart). Dans la partie la plus raide le goudron manquera un peu et je fais 200 mètres à pied après m'être gavé d'ayran (yaourt liquide) dans une roulotte tenue par une grand'mère et 2 petits enfants. Au col, à 3035 mètres je suis pris en surveillance par un gros rapace qui me tourne autour (et surtout au dessus) 2 ou 3 fois. Mon appareil photo qui coince assez vite quand la température descend en dessous de 5 degrés se bloque et je ne peux pas lui tirer le portrait autant que je l' aurai souhaité mais je l'ai quand même attrapé au vol. La descente me parait bien longue et, vers 17 heures 30 j'arrive à Naryn après 120 kilomètres. Dans cette ville industrielle le responsable du CBT m'emmène à deux pas dans un immeuble où je disposerai pour la nuit d'un appartement entier. En fait ma logeuse, 50 ans et bien fatiguée arrive vers 20 heures pour régler avec moi les détails du petit-déjeuner du lendemain. En fait elle migre l'été deux étages au dessus et redescendra avec deux oeufs sur le plat et tout le reste à 7 heures le lendemain. Entre temps j'aurai mangé mes pelmeny (petits ravioles à la viande et aux oignons) et surtout réussi à me faire servir une assiette des pâtes grillées que mes hôtes du "kafé" voisin se partagent à trois: heureusement la préposée à la cuisine en avait fait une montagne.

 

Le 8 juillet 2006, premier jour de ma soixante-et-unième année, a un programme chargé: un col dès le matin et 120 kilomètres au total. Je suis les indications de ma carte (3 millimètres vers la gauche avant le carrefour) et pars vers l'ouest dans la rue Lénine. Au bout d'une demi-heure, un panneau indiquant la direction de Baetov et Zamargan me met des puces dans les oreilles; j'interpelle un quidam qui attend - comme tout le monde ici au bord de la route - un taxi collectif - ceux qui font des queues de poisson aux cyclistes en braquant brutalement à droite pour s'arrêter. Effectivement il me faut faire demi-tour car ma carte est fausse et c'est avec une heure de retard que j'attaque les premiers lacets du col de Kyzyl Bel (17 kilomètres de long et 2484 mètres d'altitude). Il n'y a d'entrée plus de goudron et la pente se fait très raide. Après quelques kilomètres je parviens dans les prairies et le rythme s'adoucit. Dans la descente bien goudronnée, elle, des dizaines de corbeaux font du rase-motte sur ma droite et sur ma gauche et l'un deux devra sortir tout ses aérofreins pour s'arrêter à un mètre et repartir avant de me toucher la tête. C'est ensuite au tour de deux rapaces de me tournoyer au dessus, histoire d'identifier l'objet roulant que je dois être pour eux. Je dégringole ainsi sur la plaine d'At Bashy et m'arrête au village de Kara Suu ("eau noire") pour acheter de l'eau et des gâteaux à la jeune femme qui vient de fermer pour midi et rouvre son magasin pour moi sur l'injonction d'un passant à qui je viens d'expliquer d'où je viens et où je vais. On me propose même de prendre le bus pour Tash Rabat; drôle d'idée, non ? L'après-midi se déroule à plat et au soleil, avec un vent contraire et dans un paysage rocailleux et sablonneux et je l'interromps un moment pour prendre un thé dans le dernier "kafé" avant la Chine sur cette route du col de Torugart. Cette fois-ci il n'y a plus de goudron et ce, pour plusieurs jours; mon seul horizon est maintenant la ligne droite montante de plusieurs kilomètres à gauche en sortant du bistrot. Pas à pas j'arrive enfin au panneau indiquant Tash Rabat à 18 kilomètres. Après le passage du gué d'une dizaine de mètres (à grande vitesse pour éviter de s'arrêter dans l'eau en cas d'échec dans la tentative de traverser sur le vélo) je m'enfonce dans le défilé herbu et joliment découpé dans le rocher qui conduit à ce caravansérail dont on ne sait pas s'il est du Xème ou du XVème siecle. Il fait plus frais et je croise même un troupeau de yaks (les premiers depuis le Tibet, il y a 10 ans de cela). J'arrive à Tash Rabat vers 18 heures 40 après 127 kilomètres, vaguement harassé ... En face du caravansérail de pierre (soigneusement restauré d'ailleurs) se dressent les 2 maisons "en dur" de la famille des gardiens et les quelques yourtes qui servent à loger les touristes. Dans l'une de ces maisons, à pièce unique de 12 mètres sur 5, la jeune Azyma, 22 ans, prépare et sert les repas pour sa famille et pour les touristes, aidée de sa mère et de 2 petites cousines. L'autre sert à loger la famille. Pendant qu'elle me sert une première collation (thé, pain, beurre rance et confiture) elle me confie qu'elle n'a plus le temps de consolider son anglais depuis qu'elle est mariée et qu'elle aimerait bien apprendre le français. C'est bien agréable, quand on a roulé toute la journée d'être accueilli par des gens qui commencent par vous mettre à table (assis en tailleur c'est un peu dur pour mes vertèbres carrées mais c'est déjà ça). Je lui dit que c'est mon anniversaire et elle m'annonce aussitôt que "demain, elle fera un plat de fête". Vous en connaissez beaucoup, vous des qui sont comme ça ? On prend encore le temps de faire faire ses exercices de démarrage par déséquilibre avant à sa fille de 11 mois (qui marchera avant le prochain mois, c'est sûr !). Au dîner je me retrouve seul étranger parmi toute la famille car les touristes qui doivent coucher ici ce soir sont en retard (en fait leur véhicule est tombé en panne comme c'est souvent le cas vu l'état des routes). Après les explications sur mon voyage j'assiste muet à un repas familial bien sympathique avec des plaisanteries que je ne comprends pas mais dans une ambiance décontractée qui me réchauffe le cœur. Vers 22 heures arrivent les 4x4 des touristes et c'est le branle-bas de combat: on ramasse tout en vitesse pour mettre en place le deuxième service. J'aurais passé mon anniversaire "en famille" (même si ça n'est pas la mienne) et de plus, j'aurai vu les choses de l'intérieur: c'est pas intéressant tout ça ? Vu mon grand âge la jeune femme m'a affecté dans une yourte avec lits de ferraille et vers le matin j'ai la surprise de sentir le chat du quartier venu s'installer sur mes pieds. La vie de famille, je vous le dis...

 

Le 9 juillet est réservé à une journée de repos c'est-à-dire sans les sacoches qui resteront dans la yourte. Après un petit-déjeuner avec la famille puis avec les Anglais qui sont en retard comme la veille, je retourne sur la grand'route et je prends le chemin de la Chine. Après un premier intermède avec un père et son fils venus me saluer et qui essayent l'un après l'autre mon vélo (sans les sacoches c'est encore faisable pour des néophytes comme eux!) je parviens au col de Ak Bejit à 3282 mètres d'altitude et une quarantaine de kilomètres de Tash Rabat. Il n'y a qu'un ou deux semi-remorques transportant de la ferraille sur la route et quelques yourtes isolées de temps en temps dans un paysage assez sec et rocailleux. Je descends 3 kilomètres de l'autre côté du col histoire de mieux voir et photographier les montagnes de Chine et du Tadjikistan voisins. Le poste frontière kirghize (le chinois est au col de Torugart, à soixante kilomètres) est à un kilomètre et je ne peux aller plus loin sans le visa chinois sur mon passeport. De retour vers 16 heures je me repose effectivement après 7 journées de vélo bien remplies. Au dîner j'ai le plaisir de déguster un beshbarmag, le plat plus cher que les autres car il est tellement bon qu'on le mange avec les 5 doigts ("besh"=5 en kirghize). Les Anglais en laisseront la moitié mais je rongerai mon os jusqu'au bout après avoir dégusté la purée d'oignons et les petits légumes qui accompagnent cette viande délicatement cuisinée: merci, Azyma !

Pierre-André

 

Mercredi 19 juillet 2006

Nouvelles de Bishkek (le retour)

 

L'étape prévue pour le 10 Juillet me semblait la plus audacieuse. En effet, si j'avais repéré, la veille, le point de départ de la route en terre en direction de Baetov, à partir de la route de Chine, ma carte (et le guide Lonely planet) m'indiquait seulement qu'il n'y avait pas de village ni avant ni entre ni après les 2 cols à plus de 3000 mètres. De plus il fallait compter une bonne trentaine de kilomètres entre les deux et une redescente qui semblait faire environ 45 kilomètres. En cas de fringale, de coup de fatigue, de chute ou de bris de matériel, la situation pouvait se compliquer; certes j'avais de quoi me restaurer et boire et je pouvais me mettre à l'abri et au chaud dans mon duvet sous ma tente en cas de besoin (mauvais temps persistant par exemple, ce qui m'avait été complétement épargné jusque là mais, en montagne, on ne sait jamais où passer la nuit en route). Après les sempiternels 18 kilomètres pour revenir pour un kilomètre sur la grand'route, je pris donc la route des hauteurs. Les premiers enfants venus me serrer la main se voyait passer une commande d'un litre de kymys sous forme d'une bouteille de plastique vide à remplir. Le papa arrivé entre temps me confirmait que j'étais bien sur la route de Baetov et m'apprenait que la France avait été battue par l'Italie en finale de la coupe du monde de foot. Le kymys me fut donc gracieusement offert et je partis rencontrer 2 jeunes bergers à cheval et à dos d'âne et assez chahuteurs en apparence: après discussion sur mon itinéraire je repartis mais le plus âgé me rattrapa et me demanda l'heure puis ma montre. Sur mon éclat de rire il laissa tomber mais ils m'ont encore rattrapé une fois mais cette fois-ci pour se faire photographier. Ca s'est arrêté là mais le fantôme du berger kurde est passé par là ("en traînant la patte et en ramassant au passage une feuille de salade", voir Prévert chapitre xy verset zw). Je me retrouvai alors seul pour une dure et longue ascension sur une bonne route en terre dans des paysages déjà assez grandioses. En 3 heures je parvins au col de Kulak Ashuu à 3390 mètres vers 12 heures 20. Une bonne chose de faite ! La vue de l'autre côté s'étendait assez loin vers l'ouest et en dessous je pouvais distinguer au loin quelques troupeaux. La descente fut agrémentée de quelques aboiements à proximité des yourtes installées très en contrebas du col mais rien à voir avec l'agressivité des gardiens de troupeaux à 4 pattes turcs. Après 40 minutes je m'aperçus que la réparation du crochet de ma sacoche faite à Aksaray en Turquie avait lâché; en fait la vis était tombée et j'ai remplacé provisoirement le crochet par un collier de plastique. Je découvris alors le village de Baybiché, non prévu par ma carte mais laissait tomber la route qui y conduisait pour filer tout droit en direction d'un groupe de 5 ou 6 cavaliers au repos dans l'herbe près de leurs montures. Heureusement que je me suis arrêté pour "discuter" car après l'échange habituel sur d'où je venais et où j'allais ils m'apprenaient que je faisais fausse route: il me fallait traverser le village pour rejoindre Baetov sinon je me retrouverais au bout du monde. En l'absence de panneaux indicateurs ces itinéraires sont quand même un peu risqués. Voyant une petite remontée au bout du plateau où était installé le village je me dis que je n'en aurai pas pour longtemps à remonter au col de Baybiché prévu à 3082 mètres. Arrivé à cet endroit je découvris que ça continuait sur la gauche en se mettant à monter beaucoup plus sérieusement; je m'arrêtais donc pour casser la croûte mais, bis répétita, au virage suivant des plis du terrain ça remontait encore plus dans une autre direction. Et comme ça plusieurs fois dans l'après-midi où je fis la connaissance d'un très beau col, parfois à pied à côté de mon vélo quand la pente devenait trop forte (une fois sur 200 mètres, une fois sur 400 puis carrément sur un kilomètre). Vers 15 heures 30 je parvins, après avoir croisé la seule voiture de la journée (un 4x4 dont les occupants me saluèrent de la main, voire des deux mains) à ce deuxième col pourvu d'un monument portant son nom (et que j'ai pris en photo) mais ce nom ne correspond pas à celui de ma carte et surtout qui me semblait beaucoup plus haut (et absolument magnifique d'ailleurs) que l'altitude prévue. Mystère, mystère. En tout cas je me rhabillai pour une longue descente au soleil déclinant dans des alpages raides et déserts d'abord puis plus plats et agrémentés des yourtes et troupeaux associés avant de basculer finalement dans une méchante route en lacets qui dégringolait dans la caillasse sur ce haut plateau du centre du Kirghizistan dont je commençai à distinguer les détails: une belle leçon de géographie physique et humaine en direct. Il me fallut encore 2 heures et demi de constante attention sur les faux-plats descendants mais sur route gravillonneuse et sablonneuse assez dangereuse avant d'atteindre la grosse bourgade de Baetov après - seulement - 85 kilomètres en une dizaine d'heures. A la fontaine les 2 femmes présentes m'affirmaient qu'il n'y avait pas de guesthouse (maison d'hôtes c'est-à-dire logement chez l'habitant) dans ce village. Après avoir hésité la plus jeune (25-30 ans) me fait signe de la suivre et elle fait ses 300 mètres avec un jerrican de 20 litres au bout d'un bras et un seau de 15 litres au bout de l'autre (elle refera au moins une fois le même voyage pendant ma soirée chez elle). Elle me fait asseoir (sans chaussures, laissées à la porte bien entendu) et m'offre du pain (elle en fait cuire en permanence dans un four électrique en les tournant pour les faire dorer de tout côtés) avec un verre d'ayran (yaourt liquide) et me sert le "vrai" thé à la kirghize: 3 cuillerées à soupe de lait, autant d'eau bouillante versée sur du thé dans une passoire et on complète le bol avec de l'eau bouillie avant de ... saler le tout. Si, si,vous avez bien lu ... Les petites jumelles (2 ans) font caca-bouilla avec la crème et le beurre rance et tout le monde se sert avec les doigts. L'ainée (10 ans) aide bien sa mère et le petit garçon (6 ans ?) est à la fois le roi et le pitre de la maison. Interprétant mal mes gestes signifiant que je ne la comprends pas, elle hurle pour me parler, croyant que je suis sourd (ce qui est également vrai mais qui, en l'occurrence n'est pas le problème). Elle me montre des photos d'elle et de ses enfants en me précisant que le monsieur est le "papasse" du petit; pas de précisions sur la paternité des 3 autres. Elle me précise par geste directement sur l'intéressé que ce sont des photos de la circoncision du petit. Elle m'installe ensuite un couchage par terre dans la salle de séjour en face de la télévision (noir et blanc) qui dispose elle d'une prise réglementaire en alternance avec la bouilloire à thé électrique. Je décline l'invitation et préfère demander où sont les toilettes: j'en profite pour lui faire des compliments sur son jardin (carottes, betteraves et pommes de terre surtout). Pour le repas elle débranche les fils dénudés du four à pain pour coincer dans la prise ceux du réchaud électrique et me fait revenir dans du beurre des morceaux de viande qu'elle découpe sur un os long (kurdak ?). Avec de l'aneth et du pain ce sera délicieux. Elle allaite devant moi alternativement ses deux jumelles sans la moindre gène et l'atmosphère est à une assez grande intimité malgré la barrière de l'incompréhension langagière quasi totale. Elle m'affirme que "mouzique" (le papasse du petit ? ou moujik - mais elle me dit que ce n'est ni russe ni kirghize - ou alors est-ce un prénom?) se promène à cheval (ou en tracteur) ou qu'il est parti; va savoir ... On tombe en tout cas d'accord sur 200 soms (la moitié du tarif CBT) pour le tout avec un grand geste circulaire. Tout ce beau monde se couche vers 22 heures 30 après la dégustation en famille d'un bol de soupe de pâtes avec du pain et j'entends pleurer les jumelles encore une petite demi-heure dans la chambre à côté. En plein sommeil, à 1 heure 30, je suis réveillé par le retour de "mouzique" et de son formidable hoquet. Il commence par se faire chapitrer un bon moment dans la cuisine puis basculer dans la chambre ou ça discute encore ferme. Finalement tout s'endort. Vers 5 heures "mouzique" resurgit avec sa compagne un peu en furie quand même mais ça se termine par un retour à la chambre; faux départ ? A 6 heures 30 tout le monde se lève pour un petit-déjeuner assez calme avec "mouzique" vautré dans un coin de la cuisine et qui n'a manifestement pas faim puisqu'il a beaucoup trop sommeil. Au moment de payer, les 200 soms ont pris de l'inflation: je me mets un peu en colère et finalement elle se contentera de 50 soms de plus que prévu qu'elle va porter immédiatement au dormeur; il semblerait que la bouffe ça ne soit pas son problème par contre j'ai couché chez lui et ça a un coût. Ca se termine par une photo de la famille du chômeur moyen et kirghize de surcroît c'est-à-dire celle où il est absent ! Une leçon de vérité sans doute...

  

Le 12 juillet était prévue une étape de transition sur le plateau où la rivière Alabuga creuse son lit: ça donne des descentes et remontées de 50 mètres de dénivelé à chaque fois qu'il faut la traverser! Et surtout la route n'est que fesh-fesh (tôle ondulée due aux rebonds des voitures) ou sable accumulé dans l'ornière ou cailloux pointus; avec un bon vent dans le nez, ça n'avance pas vite mais alors pas vite du tout ... Il y a 3 villages sur ma carte avant l'objectif de la journée, à environ 90 kilomètres, et j'atteins le premier, Kara Bjunrgorn, que j'estime distant de 40 kilomètres, 3 heures 30 après le départ. Ca fait long pour voir un peu de monde et quelques magasins. L'après-midi ce sera le même cheminement lent mais obstiné avec quelques hameaux de plus que prévu par ma carte et toujours ces kirghizes aux champs qui me saluent de la main, me sifflent jusqu'à ce que je leur réponde (je n'ai pas toujours une main libre sur ce terrain mouvant ou dérapant) et m'invitent à boire le thé. Quelques voitures dans les 2 sens le matin puis plus rien entre 10 et 16 heures, les gens d'ici ne se déplaçant que dans des voitures pleines et pas pour aller au village à côté. Sans compteur ("emprunté" par un gamin le premier jour en Ouzbékistan ou tombé sur la route?) et avec une carte imprécise je désespère un peu me rendant compte que mon allure est minable: finalement je me retrouve à Zergetal, à une vingtaine de kilomètres du but, sans avoir vu le panneau de Oseaviachim. J'aurais quand même fait du 8 kilomètres par heure sur la journée (80 en 10 heures) avec de très petits arrêts soit un progression plus lente qu'au Turkménistan avec le même vent de face, une chaleur torride mais du goudron plus rapide: il faut se méfier du terrain... A Kosh Döbö je sais qu'il n'y a pas d'hébergement organisé et je tente l'accueil spontané (c'est ma dernière chance, les 2 autres étapes étant normalement pourvues d'hébergements payants): mon premier interlocuteur me signale, à moi qui suis français que Bernard Ollivier a dormi ici pendant son voyage à pied sur la route de la soie (après avoir hésité je n'ai finalement pas lu ses livres avant de partir me réservant la découverte de son expérience pour après mon retour). Il me propose d'aller boire le thé chez lui et, en route, nous rencontrons un honorable vieillard de ses amis qui lui, m'invite carrément pour la nuit et s'offusque quand je parle de rétribution (avec le pouce, le majeur et l'index, mais vous savez parler d'argent avec les doigts). Me voilà donc devant cette maison traditionnelle avec son portail la reliant à la maison suivante et refermant ainsi la cour entre les deux et dans cette cour ... une yourte. En effet mon hôte passe ses étés comme à la montagne et abandonne provisoirement sa belle maison. Il s'y fait nourrir par ses deux filles (l'une d'elles découpera devant moi la pâte (pasta) pour faire les nouilles du diner (laghman cuit dans un bon bouillon de légumes) et y dort. Je profite bien de la collation habituelle mais en version beaucoup plus riche que la veille (confitures et deux qualités de beurre) puis j'entame la présentation de mon voyage avec carte à l'appui et guide et dictionnaire franco-russe, acheté 1,3 Euros à Bishkek, qu'ils feuillettent attentivement, lui et son collègue. Il recevra également une voisine et passera quelques moments sur le banc devant la maison à discuter avec les voisins de son âge qui viennent le distraire pendant que les fillettes font de la balançoire. Les toilettes sont au fond du jardin mais je n'aperçois pas le petit cabinet portatif (5 litres d'eau environ) qui permet de se laver les mains (et le visage) avant chaque passage à table (et après si besoin) dans chaque maison et dans tous les "kafés" (nom générique pour maison de thé et restaurant); je resterai crasseux et poussiéreux jusqu'au lendemain matin où il m'invitera à faire comme lui; on se verse quelques centimètres cube d'eau sur les mains à partir d'un pot à anse quelconque, on se savonne et on se rince ... à croupetons au dessus de la rigole qui traverse la cour. Après un excellent dîner dont j'ai pu suivre la préparation nous sommes épuisés et j'ai droit au beau canapé dans le salon; je serai seul dans la maison pour la nuit. C'est un intérieur très cossu et aussi bien meublé qu'un living-room grenoblois de la classe moyenne d'il y a 20 ans, avec antenne-satellite en plus. Sur la table du salon des fanions du parti démocrate avec le profil de Lénine. Je dois être chez un ex-cadre communiste du village reconverti dans la politique réaliste du Kirghizistan des 10 dernières années qui se lance dans la petite (et aussi très grosse avec le gaz) entreprise en gardant tout les symboles du passé maintenant bien lointain. A 7 heures 45 je saluerai chaleureusement mon hôte pour son accueil et me promet de lui envoyer la photo prise la veille de ses 2 filles, de son ami et de lui-même en 4 exemplaires (ca revient peut-être plus cher qu'une nuitée ?).

 

Je quitte Kosh Döbö en direction des montagnes couvertes d'un ciel noir assez menaçant mais finalement l'averse passera au large devant moi sans me tomber dessus. Je n'ai, d'après ma carte, qu'un col à monter avant de descendre sur la ville minière de Kazarman où je retrouverai un axe plus important entre Naryn et Jalal Abad, dans la vallée du Ferghana. J'arrive au premier col à 11 heures pour apercevoir tout en dessous, à quelques kilomètres, la route qui, après avoir beaucoup dégringolé remonte 4 ou 5 kilomètres jusqu'à un deuxième passage mais nettement plus bas que celui où je suis. Entre les deux des alpages et quelques yourtes et un car, seul véhicule que je verrai sur cette partie montagneuse de la route et que je croiserai quelques minutes plus tard. Où est le col d'Ak Moinok à 2952 mètres d'altitude; hé bien je n'en saurai probablement jamais rien. Vers midi je suis au deuxième col et descends parmi de nouveaux alpages beaucoup plus animés en yourtes et troupeaux pour casser la croûte (pain et miel) en vue de la carrière-mine d'où s'échappent incessamment des camions chargés d'énormes blocs de rochers que l'on emporte pour les casser vers l'usine de Kazarman. Finie la belle nature ! Moi qui craignais de ne voir aucun véhicule dans la journée me voilà comblé de tonnes de poussière. Je remonte légèrement ce qui d'après des cartes d'autres voyageurs consultées plus tard se révèlera comme un authentique troisième col: celui d'Oe Kajung à 2400 mètres. Je plonge avant sur la vallée de la Naryn et Kazarman. Au passage j'aperçois sur ma gauche un panneau indicateur, objet rarissime dans ces pays: Sailmaluu Tash 7 km. Je vérifie dans mon guide qu'il s'agit d'un site de pétroglyphes (rochers sculptés) dont certains sont quadrimillénaires. Je sais qu'il y a plusieurs entrées dans ce parc et qu'il est parfois nécessaire de faire plusieurs heures de cheval pour accéder au site à partir d'une entrée. La piste est très scabreuse et j'hésite à m'y engager, n'étant pas sûr de trouver au bout de quoi dîner et j'ai très faim; de plus je suis assez fatigué et la perspective d'une douche et d'un bon lit dans une guesthouse de Kazarman l'emporte sur toute autre considération. Il n'est que 16 heures quand je cherche vainement le bureau CBT au dernier étage de la Dom Kultura locale (maison de la culture ?) dont parle le guide. Une passante téléphone à une responsable CBT qui m'envoie son fils pour m'emmener chez elle: je pourrai coucher sur le canapé du salon, la grande chambre étant occupée par 3 jeunes tchèques et le reste par des chauffeurs de 4x4 kirghizes et d'autres voyageurs du cru. Le repas du soir sera agrémenté d'une excellente salade "touriste" (toujours les concombres et les tomates) avec de la smetana (crème aigre russe) et de l'aneth et d'une chorpo (soupe à la viande). Je fais la connaissance des jeunes tchèques qui dînent avec moi sur la table du salon (qui est aussi ma chambre à coucher) et c'est d'après leurs cartes russes assez précises que j'affine ma perception des reliefs alentour. Ils voyagent à pied et en bus sur plusieurs semaines. Mon hôtesse parle un peu anglais mais la compréhension reste assez limitée; en fait la suite montrera qu'elle se contente de fournir les prestations au fur et à mesure que le besoin se fait sentir dans la conversation mais elle est peu à l'initiative pour ouvrir des perspectives aux clients éventuellement plus autonomes qu'elle pourrait rencontrer. Je n'ai fait que 75 kilomètres mais j'ai vu 3 beaux cols et j'ai ouvert des perspectives pour le lendemain.

 

Le lendemain je me mets en chasse du bureau CBT et du bureau du parc de Sailmaluu Tash pour savoir comment aller voir ses satanées pierres gravées: après 2 heures d'énervement et avec l'aide d'un jeune homme qui souhaite, lui aussi apprendre le français et rêve de devenir manager dans le tourisme ... à Kazarman je n'en saurai guère plus. Il me ramène finalement chez mon hôtesse qui est aussi son professeur (mais je ne sais pas de quoi): en fait elle est, à elle seule et le bureau du CBT et celui du parc car l'officiel est fermé pour rénovation. Le jeune me dit que l'année prochaine peut-être tout cela existera-t-il pour de bon ... Je fais part à mon hôtesse de mon désir de me rendre à l'entrée du site en vélo et elle me répond que ça n'est pas possible. Elle ignore évidemment tout de mes superbes moyens athlétiques et je vais vite manger un plat de katlet (côtelette, c'est-dire viande hachée, lentilles et purée de pommes de terre) avant de remonter les 30 kilomètres jusqu'au panneau repéré la veille. le muletier est assez sympathique avec des traversées roulantes, des lacets très raides et bouleversés par le ravinement des eaux ce qui m'obligera à descendre du vélo plusieurs fois (il n'est pas trop question de se permettre de passer par dessus le guidon dans ce désert où une chute banale pourrait devenir assez grave pour un isolé dans mon genre; par ici les nuits sont fraîches et une fois blessé je ne pourrais éventuellement pas aller bien loin). Je descends de plus en plus vers le torrent qui dégringole de la montagne en face, celle des pierres gravées en fait et croise quelques tentes avec chien et bétail puis je finis, au bout de 9 kilomètres par trouver une tente habitée par 3 femmes et 2 hommes et un bon paquet d'enfants aussi rieurs que les adultes: je réclame les yourtes pour touristes et on me fait comprendre, bol de kymys à la clé, que je les ai dépassées. En fait les touristes ne viennent jamais aussi loin et je m'en retourne à la tente déjà contrepassée où un vieillard et 2 jeunes enfants me disent que les yourtes pour touristes sont à 3 kilomètres (en arrière également) et les pierres à 40 (kilomètres également). J'abandonne mon idée de passer la nuit ici (ce qui aurait été facile dans la tente ou une yourte même quand elles ne sont ni l'une ni l'autre "pour touristes") ne sachant pas où aller chercher les pierres et je redescends m'engueuler avec mon hôtesse. Elle est admirative de ma performance sportive d'aller-retour à l'entrée du site de Saimaluu Tash dans l'après-midi (80 kilomètres environ) alors qu'elle pensait cela impossible sur la journée. Finalement, comme je lui dis que je n'ai rencontré aucun village, elle conclut, à juste titre, que je ne suis pas allé au bon endroit puisqu'elle me parlait d'une autre entrée à 20 kilomètres de la route de Jalal Abad et donc à une quarantaine de kilomètres de Kazarman. Dommage qu'elle n'ait pas eu les cartes affichées au mur avec les indications de durée de transfert en voiture jusqu'aux entrées et de randonnée à cheval jusqu'au site proprement dit: j'aurais su tout de suite comment m'y prendre pour m'y rendre avec le maximum d'autonomie (et le minimum de frais; en 2 jours les gentils Kirghizes vous prennent complétement en charge pour 75 dollars c'est-à-dire 60 Euros, encore faut-il former un groupe assez conséquent pour que le guide (qui ne parle que kirghize) et le traducteur (un russe parlant anglais) soient rentabilisés. C'était ce qu'avait commandé depuis les Flandres un couple de Belges qui ne savaient toujours pas s'ils visiteraient le site en un ou deux jours, notre hôtesse hésitant à les envoyer coucher sous la yourte de son fils après le refroidissement du temps et des chutes de neige à 3000 mètres. Ils tombèrent d'accord avec moi pour dire qu'ils avaient à la fois la bonne organisation à l'avance et l'aventure au dernier moment; coup double en quelque sorte. Il y a, en tout cas encore beaucoup de chemin à faire pour bien se comprendre entre touristes autonomes comme nous et des montagnards pas pressés qui savent tout bien faire mais avec du temps, ce qui manque toujours aux voyageurs impatients que nous sommes. De dépit je pris mon repas dans un kafé ou pour 67 soms je mangeai 2 plats (laghman et pelmeny avec pain et thé) au lieu d'un pour 90 soms à la guesthouse. C'est vrai que c'est mieux présenté et qu'on est servi en famille mais la différence n'est pas indispensable. Je laissai la jeune fille de la maison rêver sur mes guides de Turquie, d'Iran et d'Asie centrale que j'avais déballés devant elle et qui semblait fortement l'intéresser et m'en allait sur mon canapé préparer mon réveil matinal pour attaquer la dernière grosse étape de mon tour du Kirghizistan.


Levé à 6 heures 30 mais prêt qu'à 7 heures 45, je comptai monter un seul col ce jour là et arriver à dégringoler suffisamment loin pour atteindre Jalal Abad, à 155 kilomètres; tout dépendrait de la qualité de la route. Je partis confiant après avoir récupéré mes guides et confirmé à la jeune fille que je ne reviendrai pas l'année prochaine pour visiter Sailmaluu Tash, ce genre de voyage revenant assez cher et ne pouvant se faire tous les ans. Je me vis doublé par 5 ou 6 voitures dans la première heure puis naviguai seul en montée et en descente (plusieurs fois) jusqu'à 13 heures où je parvins au pied de la muraille genre schiste lustré(?) dans laquelle je distinguais depuis des heures les 3 ou 4 lacets qui permettent de passer de 1500 à plus de 3000 mètres d'altitude. Au passage j'avais vu un quidam en voiture hurler dans la direction d'une yourte situé  à au moins 500 mètres en faisant de grand gestes avec les bras avant de déposer un paquet dans les buissons; ici la distribution du courrier prend des allures très locales. Après avoir salué quelques enfants au passage du ruisseau dont le seul souci semblait de savoir où j'avais dormi (ma réponse "CBT Kazarman" sembla pleinement les satisfaire), je rencontrai un deuxième groupe - d'adultes celui-là - dont l'objectif cette fois-ci fut de placer le petit sur la selle de mon vélo et de le photographier en ma compagnie et celle de son tonton. La tentative du papa de tester mon vélo se soldait comme prévu par une égratignure et une poignée de frein tordue (facilement redressée en s'y mettant à deux, le coupable et moi): ce n'est pas si facile que ça de guider un vélo aussi lourd et je l'avais bien prévenu ... J'avais estimé mon passage au col de Kaldama entre 15 et 17 heures suivant les cas et j'y arrivai à 16 heures 58: un peu tard quand même mais en assez bon état malgré l'énormité du dénivelé, les passages parfois sévères mais malgré tout un revêtement de terre assez correct et un bon vent glacial dans le dernier kilomètres avant d'atteindre 3062 mètres d'altitude. Heureusement qu'il a fait beau toute la journée et que je n'ai pas été gêné par la pluie ! Au col je croisai 3 voitures venues de l'autre côté mais pourquoi ce bouchon de 17 heures, mystère ? Je m'habillai pour la descente qui commençait comme l'autre côté par 15 à 20 kilomètres de lacets avant de s'étirer sur plus de 80 kilomètres de vallée encaissée. Dans les schistes ravinés par le ruissellement je ne gagnai guère de temps et dans le fond du ruisseau les quelques courtes remontées ne facilitaient pas ma progression si bien que vers 20 heures 30 il commençait à faire sombre quand j'arrivai au premier vrai village depuis Kazarman après une centaine de kilomètres, ce jour-là. Le magasinier du coin à qui j'achetai de l'eau gazeuse me confirma qu'il n'y avait pas d'hôtel avant 50 kilomètres (Jala Abad en fait) et, aussi sec, confiait son estancot à une jeune fille du groupe de celles qui étaient assises devant son magasin et m'emmenait en boitant à 500 mètres de là, chez lui. Première pièce à droite où nous prenons le thé avec du pain (sec, c'est-à-dire du jour mais sans confiture, ni beurre, ni crème), me montre les toilettes au fond de la cour, met mon vélo sous clé dans une dépendance et ... disparaît me laissant avec ses enfants dont l'aînée (10-12 ans) prépare du riz (et quelques pommes de terre) sur le feu de bois dans la cour. Nous mangeons à 3 avec le grand frère (13 ans) dans la même assiette, le petit frère lui ayant son assiette personnelle et ne disant pas un mot. A la fin il racle la moitié de son assiette qui lui reste dans la nôtre et nous mangeons ses restes. Entre temps il avait été traité avec méfiance par ses frère et soeur: peut-être est-il autiste ? Je ne sais ... Les enfants me disent que le papa est parti à Kazarman (de nuit par la montagne d'où j'étais arrivé, là aussi je ne sais quoi en penser mais ça ne peut qu'être vrai). Vers 3 heures du matin je me réveille pour éteindre la lumière dans ma pièce et dans celle d'à côté où reposent les enfants, la télé elle ayant été éteinte auparavant. A 7 heures 30 je me lève et vais faire un brin de toilette à la pompe à eau devant la maison avant de dire adieu au grand garçon, sa soeur ayant elle déjà disparu (partie à l'école?). Je lui laissai 200 soms "pour son papa" malgré son refus.

 

Je reprends donc ce 15 juillet cette mauvaise route qui descend traverser la rivière et hésite un peu avec cette route à droite bien goudronnée mais les traces de voitures viennent (et vont) toutes de là (à) gauche; il y a bien un panneau dans l'autre sens mais il m'indique seulement que la route sur laquelle il est vient du trafic le plus important c'est-à-dire de Jalal Abad. Ce que me confirmera un peu plus tard le gardien à une barrière dont je ne comprends toujours pas le rôle: ce n'était pas un douanier, ni un militaire alors que faisait-il donc la puisqu'en plus il ne m'a rien demandé ? En tout cas la route goudronnée est une route secondaire: magie électorale ou potentat local ? Au village sur le plateau je fais mes provisions et découvre le goudron de la route principale maintenant, celui qui m'intéresse le plus. Je peux alors lâcher les chevaux et cavaler pendant 2 heures et demi jusqu'aux faubourgs de Jalal Abad où je me jette sur le premier café-internet pour donner des nouvelles à ma famille qui n'en a plus depuis 15 jours. Je m'installe confortablement dans un restaurant pour un vrai repas de midi avec entrée et plat principal et c'est bien agréable. Je reprends ma route dans cette ville qui n'en finit plus de finir en me faisant confirmer à chaque fois que je suis bien dans la direction d'Och (je crois bien n'avoir vu qu'un seul panneau indiquant la deuxième ville du pays dans ce dédale de rues) et patatras je tombe sur un poste-frontière où l'on me réclame mon passeport. Me rappelant qu'il y a une verrue d'une vingtaine de kilomètres d'Ouzbékistan dans les parages de Jalal Abad je refais mes calculs et rajoute 50 kilomètres au menu du jour. En attendant je dois retourner en arrière de 3 kilomètres jusqu'au dernier rond-point pour changer de route et m'engager sur le long détour qui fait le tour de la verrue en restant au Kirghizistan. Je croise d'abord un camarade cyclo allemand de 65 ans qui passe 8 semaines dans les parages et est bien content de son voyage puis j'attaque les côtes caractéristiques de cet itinéraire secondaire : 2 ou 3 kilomètres par ci par là avec des passages (indiqués en clair à 12%) ça remonte le moral. Mais celui-ci tiendra bon. Je sais que ce sont probablement là mes derniers kilomètres à vélo, pas question de faiblir. Après le détour jusqu'à Ozgon j'appuie très fort sur les pédales sur de grands développements, je passe les côtes en force, ne répondant plus de la main aux appels et aux sifflets qui se multiplient, ayant bien besoin de mes 2 bras pour maintenir le cap et l'allure. Dans le dernier petit magasin où j'achète à boire on me dit qu'Och est à 5 kilomètres. J'y arrive donc rassuré vers 20 heures après 155 kilomètres. A l'hôtel Sara je partage la chambre avec un jeune Catalan qui voyage avec un vélo et une remorque à une roue et est anxieux pour son autorisation d'aller gravir le Pic Lénine (7134 mètres) avec sa copine dans quelques jours. Il connait bien Albertville puisqu'il a déjà participé à la course de randonnée-alpinisme de la Pierra Menta dans le Beaufortain. Le troisième colocataire est un jeune allemand qui voyage à pied et en bus.


Nous partagerons les allers-retours aux restaurants pendant 2 jours dans cette deuxième ville du pays et ils me feront connaître le kafé du bazar: au bout de chaque table un commerçant vend sa spécialité. Par exemple des pâtes en gros carrés de 5 centimètres par 5 à peine tièdes qu'il vous sert avec les doigts et sur laquelle il rajoute de la tige d'ail frais, de l'oignon, toujours servi avec le même ustensile et y verse une sauce cette fois-ci issue d'une bouteille. Vous allez chercher votre théière et votre coupe au bon endroit et vous allez vous asseoir pour manger et boire. Si vous avez encore faim vous pouvez aller chercher un bol de riz avec des ... vous savez bien les machins ronds qu'il y a dans le couscous et dont je me souviens plus du nom ou alors un superbe os avec du grassouillet dessus ou des pâtisseries kirghizes ou russes vendues par des dames de l'une ou l'autre origine. Je m'en tire pour 27 soms et 4 plats là où il m'en fallait de 50 à 70 pour deux. Une expérience de modestie là aussi très enrichissante (je ne parle pas de l'économie de soms évidemment mais d'aller voir ce que mange vraiment les pauvres).

 

Je prends contact avec le professeur d'anglais qui voulait exercer son français en discutant avec moi (une heure pendant que les autres faisaient de l'internet plus 3 heures en attendant que ma voiture pour Karaköl sur la route de Bishkek trouve 3 autres passagers le 26 juin) et à qui j'ai acheté un CD de 107 chansons françaises à Bishkek pour 6 Euros. Il boude un peu me rappelant qu'il m'avait parlé de Bachelet dont il aurait aimé chanter les chansons alors que moi je lui apporte du tout venant pour exercer son français. Nous allons manger ensemble au kafé d'à côté après un gros malentendu: il croit que j'ai déjà mangé et je crois qu'il a déjà mangé. Nous discutons une partie de l'après-midi et je lui corrige ses erreurs. C'est intéressant jusqu'au moment où, après m'avoir dit qu'il connaissait un français qui préparait un manuel sur Manas, le héros légendaire national et qu'il n'y connaissait rien, la conversation dévie sur la nationalité. Je lui dis que la mienne c'est maintenant l'européenne. Il me soutient qu'il n'y a pas de nation sans langue et je parle de communauté politique européenne qui n'empêche personne d'être de nationalité française ou allemande et que tout ça (nation au sens habituel d'une communauté d'espace, de langue et de moeurs ne disparaîtra pas. Il n'en démord pas: la langue c'est le moteur et toutes les nations et les langues européennes vont disparaître. Ca s'est toujours passé comme ça et ça continuera. J'argumente en lui disant que le français, l'allemand et l'italien survivront sûrement en Europe et que si la révolution française centralisatrice et jacobine a explicitement voulu détruire les langues minoritaires (breton, corse et basque), l'Europe, au contraire, oblige la France à consacrer des crédits au maintien de ces langues et que le maintien des langues nationales est un bel exemple du principe de subsidiarité: ce qui se passe en France s'y passe en français. Il me demande alors des chiffres, l'adresse d'une association défendant le breton, etc... Je le renvoie sur internet (qu'il n'a pas chez lui d'ailleurs, faute d'argent) mais il continue et je l'entends déjà dire qu'il a rencontré un français qui n'y connaissait rien, etc ... Je suis épuisé de l'avoir écouté et corrigé pendant 4 heures et, de plus j'ai un bon début d'angine qui commence à me travailler les nerfs. Je l'envoie promener et lui rend sa carte de visite. Exit le prof d'anglais...

 

Me reste à trouver un café-internet pour vous raconter tout ça et c'est ce que je fais depuis 3 jours maintenant.

Pierre-André

 

Jeudi 20 juillet 2006

C'est la fin (du voyage)...

Maintenant, je vais rentrer. Je vais donc arrêter (provisoirement ?) d'alimenter ce site, mes aventures resteront ici et je vous invite à suivre la suite sur mon site personne à cette adresse, car si je suis un sacré rouleur, je suis aussi un sacré web master... A bientôt...

Pierre-André


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Toutes mes excuses pour cette interruption du texte et des images mais je n’avais plus les moyens de communiquer par internet depuis que je suis rentré chez moi, il y a 15 jours. Après changement de l’alimentation de mon micrordinateur et de la carte modem je peux redonner signe de vie.

 

D’abord pour signaler que je ne suis pas l’auteur du texte intitulé « Jeudi 20 juillet – c’ est la fin ». En effet il ne me serait pas venu à l’ idée de m’ attribuer le titre de sacré rouleur d’ abord parce que je n’ai reçu la bénédiction de personne pour devenir un « sacré » rouleur  et si j’ai roulé des gens dans la farine, j’ espère que ce n’est pas vous car mon récit – spontané et très mal mis en forme par manque de temps – a pour principal objectif de donner les éléments concrets de mon voyage qui devraient pouvoir éclairer la formation d’une opinion sur « ces gens-là » et non pas la répétition d’à-prioris issus du témoignage des voyageurs précédents. Quant au sacré webmaster ça s’ applique plutôt à Jean-Philippe Battu  et j’en profite pour le remercier une grande fois publiquement pour le boulot qu’il a fait pour mettre sur pied ce site et le tenir à jour en textes et photos. Maintenant qu’il est en vacances pour un mois, il ne peut plus le faire d’où l’astuce de dérivation vers une adresse sur mon site personnel.Ensuite pour dire en vitesse que je suis rentré le 21 juillet chez moi en Savoie avec 15 kilos de moins qu’à la sortie de l’ hiver dernier (après les habituels abus de boustifaille et d’alcool), c’est-à-dire que je suis en pleine forme. Sur  mon retour à Bishkek en voiture et à Genève en avion via Istanbul (Istamboul en français ; je me laisse influencer par les cartes anglophones) des détails sous peu …

Pierre André

 

Mercredi 2 août 2006

 

Nouvelles de Farette (hameau d’ Albertville)

 

J’ en étais donc resté à Och le 17 juillet où je partageais une chambre d’ hôtel avec un jeune catalan amateur de randonnée en montagne et qui faisait 8 semaines de vélo au Kirghizistan entrecoupées de l’escalade du Pic Lénine au Tadjikistan : le monde est tout petit puisqu’il connaît le Beaufortain où il a participé à l’épreuve de ski-alpinisme de la Pierra Menta. Il me conseille particulièrement un resto du bazar de Jayma (à Och) : des tables avec une dizaine de places sur des bancs et au bout de chaque table une (plus rarement un) cuisinière qui présente son plat dans un grand sac de toile : de grandes pâtes plates pimentées arrosées d’oignons frais servies à la main (en fait pratiquement à l’unité : pour 3 soms (6 centimes d’Euro) j’en ai eu 5 ou 6) sur une page de livre imprimée (l'encre en prime) ou du riz aux petits légumes (pois chiche par exemple) servis également avec une main qui plonge dans le sac ou des pâtes grillées additionnées de tomates et concombres crus ; pour le thé il faut se lever et aller chercher sa théière et sa coupe à côté du fourneau où bout l’eau pour 2 soms (au lieu des 5 à 10 des autres restos où on est servi à table) ; avec 2 ou 3 somsas (beignets à la viande et aux oignons) ça fait au total un repas complet pour 27 soms au lieu des 50 à 100 nécessaires habituellement. A la réflexion, mon cothurne et moi étions bien d’accord qu’un petit tour au restaurant des pauvres (eh oui ça existe encore) est un expérience enrichissante qui manquera toujours cruellement à certains.

 

Je confirme mon départ en taxi pour le lendemain (20 Euros, dont 2 pour mon vélo, pour les 670 kilomètres jusqu’ à Bishkek) auprès de Daniyar responsable de l’Osh Guesthouse (en anglais avec un « s » à Och, please !) cité dans le guide et le 18 juillet à 7 heures je commence à attendre dans le hall de l’ hôtel. Il faut finalement une bonne heure à Daniyar pour trouver 3 autres passagers et, vers 9 heures on se dépêche de démonter mon vélo pour le rentrer dans le coffre d’une Mercédès, le passager à la place du mort étant très pressé. Après avoir cassé une accroche de sacoche (une de plus en moins) on démarre en trombe dans la circulation vers Jalalabad : klaxon et doublement sont systématiques quels que soient les véhicules en face, en train de se doubler ou pas, camion ou simple voiture. Le taxi se considère comme prioritaire et les autres doivent se tasser sur le bord incertain de la chaussée fort heureusement très large sur cette portion de l’itinéraire. Après une centaine de kilomètres on s’arrête pour déjeuner et on commence à prendre son temps pour manger des laghmans et commander des chachliks (brochettes) qu’on emporte dans la voiture. On refait ensuite les 170 kilomètres de routes défoncées  il y a 3 semaines mais cette fois  soigneusement goudronnées et ça va beaucoup plus vite. Dans le défilé entre Tash Kömür et Karaköl j’apprécie la sauvagerie du décor qui m’avait échappée de nuit la première fois ; dommage je ne ferai sans doute jamais cette route sur mon vélo … Notre « homme pressé » noue conversation avec le chauffeur et le jeune couple mixte (un kirghize bien brun et une russe bien blonde) qui partage la banquette arrière avec moi. Finalement je suis interrogé au hasard d’un arrêt-boisson sur mon éventuel goût pour la vodka ; j’arrive à faire comprendre que je préfère le vin rouge pendant le repas aux alcools forts à jeun. A Toktogul je reconnais au passage mon « hôtel », en fait un logement chez l’ habitant et nous grimpons à vive allure au col d’Ala Bel. A un arrêt boisson le chauffeur s'impatiente après son client … auparavant impatient qui traîne dans les magasins pour acheter … de la vodka et une bouteille de 33 cl de vin. On la finira lors d’ un quatrième arrêt autour d’un « kurdak », une fricassée de viande délicieusement grasse. Pendant que je suis aux WC le chauffeur voit passer 3 « Inglises » (anglais) à vélo. On double le dernier et je reconnais Rod, le néo-zélandais rencontré en Ouzbékistan. La voiture s’arrête sans même que je le demande et Rod me confirme que les routes du Tadjikistan sont « terribles » ; il est bien content d’en finir une semaine plus tard après un aussi beau voyage mais, en attendant, il doit continuer sous la pluie pour se hisser à plus de 3000 mètres d’altitude. Il nous faudra finalement 11 heures pour terminer ce voyage devenu parfaitement touristique sur la fin avec achat de bouteilles de « kumys », la boisson nationale avec laquelle les Kirghizes de la voiture renouent au passage. Et me revoilà à Bishkek où je vais loger pour 2 nuits à l’ école de commerce, rue Panfilov à 2 pas de la place Ala Too, centre de la ville.


Je passe la journée du 19 et la matinée du 20 sur internet et découvre au restaurant Baltika, l’okrochka, rafraîchissante soupe (russe) froide à base de crème aigre, pommes de terre, œuf et viande. L’après-midi du 20 me voit lambiner sur les 40 kilomètres qui mènent à l’aéroport où mon avion doit partir à 3 heures 20 du matin suivant.


Dans le hall d’ attente trône une magnifique balance qui va jusqu’à 200 kilos : je pèse 60 kilos et mes bagages, vélo et sacoches, 40; à moi de me débrouiller à faire d’une de mes sacoches arrière un bagage à main (de moins de 8 kilos et qui puisse rentrer dans le compartiment au dessus de nos têtes dans l’avion) et  avec le reste (un vélo, une sacoche arrière, une tente et un matelas gonflable)  3 bagages en soute pesant au total moins de 30 kilos. Comme à l’aller on avait droit à 30 kilos je me retrouve avec du surplus au retour. Je dois jeter quelques bouts de ferraille devenus superflus, des patins de freins bon marché, une bouteille d’alcool (médicinal), 2 tee-shirts qui ont fait leur temps et le beau pantalon de Décathlon tout usé à l’arrière-train. Je tombe en dessous de la limite de poids mais je ne pourrai échapper à la taxe de 60 dollars pour bagage encombrant: c’est le seul aéroport à ma connaissance qui pénalise ainsi les cyclos ! De plus je dois fournir les outils pour démonter mon vélo, la société chargée de l’emballage des bagages, sous-traitante de la compagnie Turkish Airlines qui me réclame 5 dollars de plus, n’ayant pas de clé de 15 pour dévisser les pédales par exemple. L’odeur de l’écurie me permet de négliger ces détails … financiers.


L’ airbus A310 décolle parfaitement et à 4 heures du matin on nous sert … un repas ; pourquoi pas, ça occupe les gens comme moi qui n’ont toujours pas accepté que plusieurs centaines de tonnes puissent tenir en l’ air à condition de dépasser quelques centaines de kilomètres à l’heure de vitesse horizontale. Après 3800 kilomètres et 5 heures 30 de vol, j’ achète, à Istanbul, le journal Le Monde et me prépare moralement à revenir en francophonie pendant les 4 heures de transit. Il faut cette fois-ci faire 1900 kilomètres en 2 heures 45 (et un autre repas) pour atteindre Genève vers 12 heures 10 (heure locale). Je remonte mon vélo et me rend à la gare. Le site internet de la SNCF ne m’avait trouvé un train pour Albertville qu’à 19 heures mais j’ai le temps de demander le renseignement à nos amis suisses qui m’en trouve un en 3 branches (changement à Culoz et Chambéry) à 16 heures 21, rien que des TER qui acceptent les vélos en bagage à main, c’est-à-dire chargés par leur propriétaire. A 19 heures en gare d’Albertville j’ ai beau appeler chez moi pour que ma sœur vienne me chercher en voiture, personne ne répond; normal, elle n’ était pas encore arrivée en Savoie. C’est le cœur léger et la pédale itou que j’ attaque les 4 kilomètres, dont un bon kilomètre à plus de 12% qui me ramènent chez moi d’où je vous salue présentement.

 

Pierre André




Un premier bilan:

Un merveilleux voyage, varié et enthousiasmant grâce aux gens rencontrés.

Pas de maladie digne de ce nom (sinon 4 jours de liquéfaction intestinale à Samarcande).

Pas d’ accident malgré les routes très fréquentées par les camions (on n’était pas sur un itinéraire du commerce international depuis des millénaires en Turquie et en Iran sans risques).

Pas de problèmes mécaniques sérieux (seulement un bris de béquille et des problèmes de sacoche) et aucune crevaison.

Un appareil photo numérique qui a tenu jusqu’ au bout et dont je vais bientôt finir par savoir me servir correctement.

Une forme physique à la hauteur de l’ enjeu qui fait bien plaisir à l’orée de ma vieillesse.


Quelques chiffres de bilan(faut bien s’occuper dans l’avion entre les repas et dans les salles d’attente):

En Turquie: 26 jours dont 19,5 à vélo pour 1930 kilomètres (et 6 jours et demi de visites touristiques et de démarches administratives).

En Iran: 29 jours dont 19 pour faire 2358 kilomètres à vélo et 10 pour aller en train et en bus à Yazd et Ispahan ou se reposer en visitant des villes dont 3 des capitales historiques du pays (Téhéran, Tabriz et Qazvin).

Au Turkménistan 4 jours de vélo pour 415 kilomètres de lignes droites dans le désert et avec le vent de face.

En Ouzbékistan 20 jours dont 11 de vélo pour 984 kilomètres en pleine chaleur mais avec des gens de plus en plus sympathiques au fur et à mesure qu’on a pris notre temps de flâner.

Au Kirghizistan 25 jours de régal surtout dans la - relative - fraîcheur estivale des montagnes avec 1816 kilomètres en 17 journées de vélo.


Financièrement :

Visas : 210 Euros

Vaccins : 160 Euros

Cartes, guides : 130 Euros

Transports :

Genève-Istanbul en avion : 223 Euros

Bishkek-Genève en avion : 540 Euros

A/R Genève en train : 45 Euros

Turquie : 40 Euros

Iran : pas grand chose.

Total : 1350 Euros


Frais de séjour (bouffe, boissons et hébergements) par pays : 1260 Euros (en France j’aurais dépensé 650 Euros rien que pour me nourrir en 3 mois et demi).

Turquie : 28 jours et 500 Euros (18 Euros/jour).

Iran : 29 jours et 340 Euros (12 Euros/jour).

Turkménistan : 4 jours et 31 Euros (8 Euros/jour).

Ouzbékistan : 20 jours et 160 Euros (8 Euros/jour).

Kirghizistan : 25 jours et 230 Euros (9 Euros/jour).


Total général : 2610 Euros.



Description de mon vélo de voyage et de mon matériel:


 

Un beau vélo (de voyage) du catalogue allemand (au catalogue français, pas de vélo de voyage mais ça viendra sans doute un jour, surtout si vous en achetez ?) de la firme basque Orbea vendu par Vél'Alpes Sports (Riondet sports et cycles) rue de Stalingrad à Grenoble.

 

Pour les assoiffés de détails:

 

Cadre alu renforcé, jantes alu Vision double paroi.

 

Comme j'ai des roues de 700 et qu'on ne trouve pas toujours les pneus idoines chez les étrangers j'ai commandé des pneus 700x32 Marathon +(plus) de chez Schwalbe qui devrait tenir bien plus de 10 000 kilomètres. A l'achat il y avait des Continental Sportcontact de 700x32C particulièrement réactifs qui m'ont permis de monter le col Lachard par son versant sud à 12 km/h au compteur cet automne; je les remettrai pour rouler en Savoie à la journée après mon retour.

 

Pour la transmission, du Shimano 105 derrière avec manettes Tiagra 9 vitesses et pédalier Tiagra aussi (j'en entends un dans le fond qui a compris Viagra?).

 

Pour les freins des puissants de chez VTT: Cantilever Tektro Oryx 992AG avec double commande pour pouvoir freiner en restant bien assis si la pente est faible (pour voyager ça peut être plus confortable).

 

Porte-bagage arrière en acier Tubus (sur la photo c'est celui qui porte 18 kg mais j'en aurai un qui est sensé supporter la trentaine mais n'en aura qu'une petite vingtaine).

 

Remarquez la dynamo dans le moyeu de la roue avant (le dernier modèle de Shimano - et donc la troisième génération - qui devrait avoir moins de frottement à vide que celle du spécialiste d'il y a quelques années (Jean-Philippe B...). A noter aussi le feu arrière Lumotec Oval Senso plus qui reste éclairé par photoluminescence au moins 3 minutes à l'arrêt, si on a roulé avec la dynamo auparavant bien sûr!


Un matelas Thermarest 180cmx35cm de 35 mm d'épaisseur une fois gonflé pour reposer les lombaires du cyclo et lui garantir une aussi douce nuit que possible (indispensable après 40 ans si on veut rouler plusieurs jours de suite). Très cher (60 Euros?) mais indispensable, à mon avis.

Une tente Trigano à double toit avec un seul arceau du plus élémentaire bas de gamme donc plutôt légère. Il doit y en avoir qui font un kilo de moins et coûtent 4 fois plus.

Un duvet Alpinist acheté 300 Francs en grande surface sportive et qui a fait ses preuves par -5 degrès Celsius la nuit au Tibet. Là aussi il doit y avoir plus léger mais plus cher.

Deux sacoches arrière Karrimor de 23 litres (ceux qui ont un moins bon équilibre ont intérêt à répartir la charge sur 4 sacoches, avant et arrière). Pas étanches (les seules à l'être semblent être les allemandes Ortlieb) mais très solides. En cas de pluie continue j'enfile par dessus des sacs poubelles avec de bons résultats.

Une grosse sacoche (prévue au départ pour transporter du matériel photo et donc rembourrée) de guidon que je trimballe depuis 1989 et qui contient le matériel photo, l'argent, les papiers, les nécessaires de réparation du vélo, les cartes et le guide. Grâce au système KlikFix elle se transforme quasi instantanément en sacoche portée en bandouillère avec ce qu'il y a de plus précieux dans les bagages dedans quand je m'arrête.

Et tout ça pour 13,2 kg de vélo et une bonne vingtaine de bagages.

Et quelques tonnes de moral d'acier (faut bien ça dans les bizarres ambiances actuelles de grippe aviaire (sur-médiatisée), de nucléaire iranien (sur-sur-médiatisé) et de caricatures de Mahomet (sur-sur-sur-médiatisées)...