Paris-Brest-Paris en août 2003

1230 km en 90 heures 26 (dont 5 de "sommeil")

 

Cette page contient les impressions d'un des 4500 participants


Paris-Brest-Paris après la canicule


Les objectifs:

Jean Philippe Battu qui avait abandonné à Loudéac (kilomètre 450) lors de l'édition de Paris-Brest-Paris de 1999 m'avait flatté sur ma pseudo-expérience des efforts sur plusieurs jours consécutifs pour m'inciter à l'accompagner en 2003. Paris-Brest-Paris m'étant toujours apparu comme une épreuve d'endurance un peu (beaucoup?) bestiale et sans grand intérêt touristique, je ne m'étais jamais posé la question d'y participer.
En réalisant les épreuves qualificatives (200 kilomètres à mi-mars, 300 à mi-avril, 400 mi-mai et 600 début juin à la moyenne de 15 km/h) je m'étais familiarisé avec la route de nuit et son ambiance de calme (et d'un peu de volupté d'ailleurs!) et j'avais constaté que j'avais probablement les moyens de réussir sur Paris-Brest-Paris en allant doucement (ce qui serait forcément le cas avec Jean-Philippe) et en me fixant pour objectif de terminer sans fatigue excessive.

Le planning:

Vu que Jean-Philippe ne sait pas "prendre une roue", qu'il pédale dans la choucroute à toute vitesse de rotation de jambes et reste incapable de hausser le rythme sur de longs moments nous devions logiquement nous inscrire dans la version la plus longue en 90 heures pour 1229 kilomètres. Aux entraînements on avait également pu constater que j'avais moins de mal que lui pour ne pas somnoler au plus profond de la nuit: privilège de l'âge et de la plus grande habitude des bringues sans doute!
Comme la plupart des inscrits sur cette version, nous avions prévu, en partant le lundi soir à 22 heures, d'aller sans dormir jusqu'à Loudéac (km 450), au coeur de la deuxième nuit. Il nous restait alors à faire 320 kilomètres pour l'aller-retour à Brest avant une deuxième nuit à Loudéac et 310 jusqu'à Mortagne au Perche. La journée de vendredi serait alors consacrée aux 140 derniers kilomètres. Nos calculs nous permettaient d'espérer dormir environ 3 heures par nuit à partir de la deuxième et donc de moins rouler de nuit après la première passée entièrement sur le vélo.

L' assistance:

Elle est organisée officiellement et c'est Isabelle, la femme de Jean Philippe, qui se chargeait de nous rejoindre aux points de contrôle où elle nous a ravitaillé en soupe Royco "à la poule au pot" (pâtes, poulet et légumes), plat de pâtes en 2 versions à chaque fois, crudités, viande blanche, fromages et fruits. Nos discussions après l'épreuve avec des habitués nous ont appris que le choix entre les différentes versions (84, 80 et 90 heures) se faisait en fonction de l'assistance: en partant vers 4 heures le mardi pour 84 heures, on évite la première nuit sur le vélo mais il faut avoir une bonne assistance pour rattraper ensuite et les semi-pros du 80 heures ont une assistance quasi permanente (à base, paraît-il, de pâtes liquides?) en contravention avec le règlement qui interdit la présence des voitures d'accompagnement sur le parcours (hors les contrôles évidemment). Le bruit courait d' ailleurs à l'arrivée que les 20 premiers et les organisateurs ne s' adressaient plus la parole.
Nous avions également réservé un gîte à 5 kilomètres de Loudéac pour les deuxième et troisième nuits et pensions dormir dans la voiture la quatrième.
Pour l'aller-retour à Brest de la journée de mercredi, nous nous sommes agréablement requinqué chez mon fils, dehors dans le jardin aussi bien à midi qu'à 20 heures, avec force taboulé, salade de tomates, poulet et pâtes, jambon et fromages, yaourt et tarte aux pommes.
Quant au ravitaillement en eau qui pose de plus en plus de problème aux cyclotouristes avec la disparition des fontaines publiques dans les villages, il n'y avait là aucun souci à se faire puisque les riverains organisent eux-mêmes tout au long du parcours et toute la nuit des tables de camping avec bouteilles plastique remplies d'eau potable, voire de coca-cola,de thé et de café (les 3 produits d'usage courant contenant de la caféine!).
Aux contrôles il y avait également tout le nécessaire en vivres et lits de camp mais nous avions choisi de nous en affranchir au maximum car au milieu du peloton des 90 heures il faut parfois faire la queue de longs quarts d' heure pour manger ou dormir. Nous avons quand même fait la queue pour pisser ...

L' ambiance:

Elle est un peu pénible avant le départ puisqu'il faut être à St Quentin en Yvelines le dimanche pour le contrôle (très sévère mais c'est bien normal) des éclairages de vélo et qu'on ne part que le lundi soir, théoriquement à 22 heures (en fait par groupes de 500 tous les quarts d'heures à partir de 21 heures 45 et jusque vers 23 heures). Soit 2 bonnes heures de queue avant 22 heures 15 pour notre départ par exemple après une nuit en camping sous les averses nombreuses et bruyantes et une après-midi de sieste réparatrice.
Elle est assez extraordinaire, l'ambiance, les 40 premiers kilomètres où la foule est là pour nous soutenir et, croyez-moi, ça n' est pas rien d'être encouragé par des gens qui, manifestement nous admirent et on a parfois un peu l'impression de rouler pour eux: je leur souhaitai "Bonne nuit! Dormez bien!" ce qui les faisaient beaucoup rire car ils ne pouvaient répondre "Vous aussi!".
Elle se calmait (toujours l'ambiance) quand on plongeait ensuite dans la douce tiédeur de la nuit bercée par les ronronnements de roues libres et de dynamos. La traversée indéfiniment répétée des villages endormis était égayée par des petits groupes de supporters avec du ravitaillement devant la porte de leur maison.
Elle était horrible vers 4 heures du matin quand il ne reste plus que la table de camping et un peu d'eau au fond des bouteilles et que les yeux se ferment de temps en temps sans qu' on puisse vraiment les empêcher de le faire sinon en les rouvrant avant d'avoir fini de traverser la route en direction du champ de maïs le plus proche. C'est là, lors de la première nuit que Jean-Philippe s'arrêtait souvent pour boire, pisser, souffler, changer de vêtement enfin tous les prétextes pour ne plus subir cette somnolence assez terrifiante sur le vélo.
Elle était conviviale dans la journée surtout avec Jean-Philippe, gérant de site internet anglophone et maniaque des trouvailles technologiques (spécialités: dynamos et vélos couchés): adhérent du club des Diagonalistes (la France en travers de Brest à Menton ou de Dunkerque à Hendaye, etc ...) et de l'Audax United Kingdom, il écrit, en anglais, des descriptions de ses parcours en montagne. Il est donc en contact sur la toile avec une foule de correspondants. Ne lui a plus resté qu'à chercher les numéros de plaques de cadre de ses correspondants sur le site des organisateurs (Audax Club Parisien: http://www.audax-club-parisien.com) et d'en emporter la liste: chaque fois qu'il rencontrait un éligible, ils faisaient connaissance et tcha-tcha-tchi et tcha-tcha-tcha pendant des heures sur les dynamos avec ou sans roulement à billes, les vélos couché à pignon fixe ou pas, etc ... . Bonjour la moyenne quand la conversation tournait à la démonstration de la dynamo montée sur roulement (montée sur mon vélo en tant que modèle à essayer) ou de celle incluse (par Daniel Cattin d' ailleurs) dans le moyeu de la roue avant (du vélo de JP) et tout ça sur la place d'Huelgoat, Finistère centre, par exemple! Je me demande d' ailleurs si l'objectif de Jean-Philippe n'était pas de rencontrer tout ces gens plutôt que de faire Paris-Brest-Paris dans les 90 heures imparties?
Elle était très internationale puisqu'il y avait jusqu'à des japonais(es) en passant par toutes sortes d'étatsuniens, d'anglais, de colombiens britanniques, de canadiens et d'australiens, d'allemands, de belges, d'italiens, de russes et d'espagnols avec, en plus, des basques et puis d'autres encore pas très bien identifiés. Paraît-il que les 5 continents étaient représentés et ce, pour la première fois.
Elle était aussi conviviale aux contrôles où les bénévoles jouaient une fois de plus leur rôle irremplaçable, adhérents de sociétés dans les villes-contrôles venus seconder des municipalités très impliquées ou secouristes toujours aussi efficaces (par exemple pour rassurer JP quand il a commencé à avoir mal à un genou).
Elle est à la perplexité quand je me demande ce que l' on paie dans les 82 Euros d'inscription, sachant que les lits de camp et la bouffe se paient en plus de l'inscription: ne restent que le fléchage, d'ailleurs admirablement fait (mais c'est indispensable car envoyer dans le paysage des gens qui roulent dans des états de fatigue assez avancés peut avoir de graves conséquences) et les frais de fonctionnement de l'aide médicale, de nettoyages des lieux occupés ou d'assistance technique diverse. Sans compter la médaille que je recevrai en janvier, le coup de cidre à Brest et le kir à l'arrivée.
Elle était à la camaraderie quand on rencontrait des participants un peu en route vers la détresse comme cette jeune femme sans éclairage à l'avant qui a fait des kilomètres à droite de mon vélo et que je coinçais dans le fossé à chaque dépassement par une voiture, la même qu'on a aidé après un saut de chaîne et dont on n'a jamais su quelle langue elle parlait, elle et son compagnon, et surtout cet américain perdu sur les routes de montagne vers Hardange qui avait cassé son vélo, dont l'éclairage était foutu et qui nous a finalement demandé de prévenir le contrôle de Villaines-la-Juhel.
Elle était à la compréhension quand on y est arrivé hors délai d' environ une heure, à ce même contrôle de Villaines-la-Juhel: potentiellement éliminés, Jean-philippe a argué avec véhémence de ces contretemps pour nous faire attribuer 45 minutes qui, s'ajoutant au départ décalé d'un quart d' heure, nous ramenait juste à l'heure. Comme quoi malgré leur sévérité, les "contrôleurs" ont su rester malgré tout humains et ils se sont alors mis en quatre pour avertir les contrôles suivants que nous arriverions en retard. La consigne n'est malheureusement pas allée jusqu'à St Quentin en Yvelines et l'informatique était fermée quand JP y est arrivé. Mais un peu de dialogue a, semble-t-il, arrangé le litige.
L'ambiance était carrément au délire, la deuxième nuit quand JP, ivre de manque de sommeil, se jetait à corps perdu dans les descentes sinueuses, pilotant aux réflexes sa machine sur des petites routes que son éclairage de très grande qualité éclairait heureusement comme en plein jour.
Elle était au malaise quand on doublait des cyclos tout de guingois sur leur vélo à force d'être tétanisé par la fatigue musculaire et nerveuse. Isabelle nous a rassurés en nous affirmant qu'à côté de certains nous avions l'air en très bon état.
Elle était au rire teinté d'un poil d' angoisse quand nous nous sommes arrêtés auprès d'un tandem couché dont la passagère n'avait pas répondu clairement non à notre proposition d' aide: 500 mètres après le contrôle de Loudéac son mari avait mis le clignotant à droite, s'était arrêté sur le bas côté et ... s'était profondément endormi, assis à son guidon, le menton sur la poitrine. Elle n'arrivait pas à le réveiller et protestait mollement qu'elle allait chercher du secours au contrôle tout en ne semblant pas disposée à l'abandonner là. Finalement on a pu utiliser le portable de JP pour alerter des gens proches du contrôle qui ont dû depuis faire le nécessaire(?).
Elle était à la stupéfaction quand le collègue avec qui je roulais s'arrête pour réveiller un cyclo endormi sur la pelouse d'une belle villa au bord d' une départementale très large où les voitures déboulaient à vive allure: il avait laissé son vélo au milieu de la voie de circulation de droite et moi, je ne m'en étais même pas rendu compte. Quelques instants plus tard passait en trombe la voiture suivante ...
Elle était à la sympathie à Gorron dont le maire participait à Paris-Brest-Paris et où on nous offrait toutes sortes de bonnes choses à boire.
Elle était à l'amitié, au retour à Fougères où Mireille et Michel Guillerault m' attendaient depuis 9 heures 30 à mon arrivée vers 17 heures 30. La prochaine fois - mais il ne devrait pas y en avoir car une fois ça va, deux fois ça servirait à quoi? - on se coordonnera mieux et je devrais pouvoir prévoir un horaire de passage.
Elle a été grandiose quand je me suis arrêté, pour refaire le plein de mes bidons, devant chez un paysan mayennais qui nous accueillait avec sa femme: "Allez-y, c'est de l' eau de source; prenez du gâteau, du café ou du chocolat". Comme je louchais vers la bouteille au milieu de la table de camping, il m'a vite rassuré: "C' est du calva que je fais moi-même; goûtez-le il est bon!". Je me pince encore pour savoir si j'ai rêvé mais je me rappelle encore de ses arômes ... Et en partant: "Si vous revenez en vacances par ici, passez donc boire un coup à la maison".
Elle était à la satisfaction à l'arrivée d'apprendre que les 2 collègues seyssinettois avaient terminé plus de 2 heures avant moi: on avait fait des épreuves qualificatives ensemble et on s'étaient revus plusieurs fois sur le parcours. Il semblerait que le plus âgé (10 ans de plus que moi, environ) ait un peu souffert en route mais ça semble assez normal.
Elle était à l'émotion quand en pleine nuit nous avons croisé les premiers, de retour de Brest, à une dizaine, bien éclairés et avec 3 ou 4 voitures dans les roues (assistance illicite ou pékins coincés par les vélos, je ne sais!): ils avaient pris 400 kilomètres d' avance sur nous en 25 heures.
Elle s'est chargée d' un peu de désolation en apprenant sur internet que Manfred (de St Egrève) avait abandonné à Carhaix et que Marc Liaudon, deuxième du club des 100 cols et qui m'avait demandé des renseignements sur la Norvège (pour la parcourir en juin), n' avait pas pu prendre le départ. Je sais par ses mèls qu'il a fait un beau voyage jusqu'au Cap Nord mais je regrette de ne pas l'avoir revu entre Paris et la Bretagne.

Comment ça s' est finalement passé:

Nous ne sommes pas allés assez vite pour respecter nos prévisions de sommeil. Si nous n' avons pas dormi la première nuit comme prévu, nous n'avons dormi qu'une heure trois-quart la deuxième, une heure la troisième et pratiquement pas la quatrième. Nous avons fait le même Paris-Brest-Paris que les costauds mais 2 fois moins vite alors que le délai de 90 heures aurait dû nous permettre de dormir comme l'on fait les copains de Seyssinet, par exemple.
Comme prévu par contre nous n avons pas fait beaucoup de tourisme. Le cahot de petites routes entre Corlay et Loudéac a l'air très rentre-dedans mais on l'a fait les deux fois de nuit. Entre Corlay et Carhaix-Plouguer les petites routes en chemin creux nous ont offert une matinée fabuleuse. La remontée de la rivière d'argent après Poullaouen, la forêt d' Houelgoat et le franchissement des Monts d' Arrée, à ras du Roch Trévezel, me laisseront un grand souvenir bien que je les connaisse par coeur, mon fils habitant la plus haute commune de Bretagne, La Feuillée à 360 mètres d' altitude et à 3 kilomètres du Roch. La forêt de Rambouillet est également agréable à traverser. Les layons entre Tinténiac et Fougères par Feins et Sens-de-Bretagne sont sympathiques et l'arrivée sur Brest par Plougastel-Daoulas et le pont Albert Louppé est assez grandiose.
Le temps est resté magnifique tout au long de cet aller-retour: mieux vaut ne pas penser à ce qui ce serait passé 10 jours plus tôt en pleine canicule ou comme certaines années où la pluie et le vent étaient de la partie plus souvent qu'à leur tour. On savait qu'on n'aurait aucun problème météorologique et ça m'a permis de prendre le départ tout à fait confiant. On a eu énormément de chance!
Les bobos sont restés assez limités. A part la langue gonflée (par la fatigue?) le troisième jour, je n'ai eu que mes douleurs de genou habituelles (quand j'arrête de rouler ce qui a été peu souvent le cas). Quant à JP il a eu une douleur de genou également mais plus aiguë que les miennes et il l'a attribué à une tendinite mais elle s' est estompée au fil du temps: ça lui a donné du souci et l'a encore ralenti mais ne l'a finalement pas empêché de continuer.

Conclusion:

Il fallait - peut-être? - le faire mais maintenant que c'est fait, ça n'est plus à faire.